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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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avant même que nous quittions Suvediye.
    La cité était modeste et ne payait pas de mine. À en
juger par les ruines qui l’entouraient, Suvediye avait perdu de la superbe
qu’elle avait pu avoir à l’époque romaine, ou plus tôt encore, lorsque
Alexandre y avait débarqué. Il n’y avait pas à chercher bien loin la raison de
son étiolement. Bien que notre bateau ne fût pas des plus imposant, il dut
mouiller assez loin de la petite baie portuaire, et les passagers que nous
étions furent emmenés en yole sur le rivage tant le port était ensablé des
alluvions limoneuses de l’Oronte. J’ignore si Suvediye fonctionne encore en
tant que port maritime, mais, à cette époque, il paraissait déjà clairement
condamné à terme.
    En dépit de son aspect peu avenant et de ses maigres
perspectives d’avenir, la cité était peuplée d’Arméniens qui se considéraient
visiblement comme égaux, voire supérieurs aux habitants de Venise ou de Bruges.
Bien qu’il n’y eût qu’un seul autre bateau à l’ancre lorsque nous arrivâmes,
les officiels du port se comportaient comme si celui-ci était encombré d’innombrables
vaisseaux, requérant tous la plus scrupuleuse attention. Un gros et gras
inspecteur arménien fit irruption, l’air affairé, les bras encombrés de
papiers, alors que notre petit groupe de cinq voyageurs se préparait à
débarquer. Il insista pour nous compter (oui, nous étions bien cinq) puis
dénombra un à un tous nos paquets et bagages, couchant scrupuleusement ces
chiffres sur un registre. Il nous laissa enfin partir avant de se mettre à
importuner le capitaine anglais d’innombrables renseignements à consigner sur
ses formulaires, au sujet de la cargaison, de son origine, de sa destination,
et tutti quanti.
    Il n’y avait aucun château croisé à Suvediye, aussi,
nous frayant un difficile chemin au milieu des mendiants et de la foule, nous nous
dirigeâmes droit sur le palais de l’ostikan, ou gouverneur, pour lui présenter
nos lettres du prince Edouard. C’est par pure charité que je qualifie sa
résidence de palais. Ce n’était en réalité qu’un bâtiment d’aspect minable,
dont le seul titre de gloire était son étendue et sa hauteur puisqu’il
s’élevait sur deux étages. Après qu’une suite harassante de plantons, de gardes
et de sous-officiers eurent sévèrement fait étalage de leur importance en nous
faisant consciencieusement attendre, déployant avec zèle le plus fastidieux
cérémonial, nous finîmes par être introduits dans la salle du trône du palais.
Si je l’appelle salle du trône, c’est là aussi par pure charité, ce dernier
consistant essentiellement en un daiwan, un amoncellement de coussins
sur lesquels l’ostikan se prélassait. En dépit de la chaleur ambiante, il ne
cessait de se frotter les mains au-dessus d’un brasier de charbons ardents
placé devant lui. Dans un coin, un jeune homme assis sur le sol se taillait à
l’aide d’un couteau les ongles des orteils. Ceux-ci devaient être d’une taille
conséquente, à en juger par le bruit sonore qu’ils faisaient au moment où ils
étaient sectionnés, puis lorsqu’ils tombaient au sol après une aléatoire course
aérienne dans la pièce.
    Le nom passablement ronflant de l’ostikan, Hampig
Bagratunian, était sans doute, hélas, ce qu’il avait de plus remarquable.
Petit, ratatiné, il était privé, comme la plupart des Arméniens, de cou,
l’arrière de la tête prolongeant presque à la verticale le haut de son dos. Il
avait tout juste l’air de ne rien gouverner du tout, aussi insignifiant, dans
sa pompe factice et son apparence faussement grandiloquente, que les commis et
assistants qui nous avaient conduits jusqu’à lui. Contrairement aux Arabes et
aux Juifs qui se conforment aux obligations d’hospitalité de leur religion, ce
chrétien arménien nous reçut avec un ennui non dissimulé.
    Après avoir lu la lettre, il déclara en sabir :
    — Sous prétexte que je suis, comme eux, un monarque
souverain, déclama-t-il nonchalamment, gonflant ainsi son rang au degré royal,
n’importe quel autre prince se croit autorisé à se débarrasser d’un ennui en le
rejetant sur moi.
    Poliment, nous gardâmes le silence. Un ongle de pied
jaillit : tchac.
    L’ostikan Hampig poursuivit :
    — Vous débarquez ici à la veille du mariage de
mon fils (il nous indiqua le coupeur d’ongles) alors que j’ai d’innombrables
autres préoccupations : des invités

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