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L’ESPION DU PAPE

L’ESPION DU PAPE

Titel: L’ESPION DU PAPE Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Madral , François Migeat
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murs un peu trop froids, il y fait disposer des bancs, dresser une table sur des tréteaux et servir pour eux cinq un dîner frugal. Après quoi, tandis que Yong et ses deux adjoints vont se coucher dans un coin de la salle sur des paillasses que les moines leur ont apportées, le légat invite Stranieri à partager avec lui une belle cruche de vin de Languedoc, tout en le défiant au jeu du Renard et des Oies. Sur un plateau au tracé cruciforme entrecroisé de diagonales et de parallèles, il répartit les dix-huit pions bleus de ses oies en ordre de combat, et Stranieri pose son renard noir. Le sort lui donne la préférence pour attaquer le jeu. Il commence en avançant son pion en ligne droite vers le centre. Castelnau réfléchit à peine avant de déplacer deux oies de son aile, préparant l’encerclement du renard. Avançant leurs pions en zigzag, les deux adversaires se livrent alors à une stratégie de déplacements très rapides, révélant deux joueurs avertis. Puis, arrivés à une situation de blocage, ils font une pause et se servent à boire.
    — Et que feras-tu, si le Saint-Père t’accorde ce que tu souhaites ? demande Stranieri.
    — S’il me permet de retourner à la méditation, je me consacrerai à l’étude de problèmes théologiques. C’est ma passion, comme tu le sais.
    — Tu auras bien de la chance, s’il l’accepte, commente rêveusement Stranieri.
    Les deux hommes trinquent et boivent. Stranieri reprend :
    — Il est certain qu’un homme comme toi pourrait apporter bien des réponses aux questions nouvelles que notre époque se pose dans ce domaine.
    Castelnau lance à son interlocuteur un regard méfiant, ne sachant s’il se moque ou s’il est sérieux.
    — À quelles sortes de questions nouvelles penses-tu ?
    — Oh ! à mille et une.
    — Donne-m’en un exemple.
    Stranieri replonge brusquement dans le jeu, mangeant trois oies d’un coup au légat qui ne s’était pas rendu compte qu’elles n’étaient pas protégées. Celui-ci tente aussitôt, en déplaçant un pion, de combler le vide que l’espion du pape a ouvert dans ses lignes arrière. Stranieri soulève alors son renard entre le pouce et l’index. Il semble hésiter à propos de l’intersection sur laquelle il va le poser. Sans regarder Castelnau, il répond à sa question.
    — Prenons simplement le problème de la sépulture de ce juif, tout à l’heure. Ne crois-tu pas qu’il serait utile de définir un nouveau lieu dans l’au-delà, qui ne soit ni le Paradis ni l’Enfer, et où des âmes comme la sienne pourraient purger leur reliquat de péché ? Je trouve que cette absence est une sérieuse lacune de nos Saintes Écritures. Car est-il bien judicieux, finalement, de vouer les usuriers aux flammes de l’Enfer, alors que notre Église a tant besoin de prêteurs ?
    — Et comment voudrais-tu appeler ce nouveau lieu ?
    La main de Stranieri hésite, allant de gauche à droite, sans se décider à jouer son renard.
    — La toponymie n’est pas vraiment ma spécialité. Il faudrait que tu demandes cela à quelqu’un comme le cardinal Ambrogiani. Tu sais bien qu’entre deux conseils donnés à notre Saint-Père et quelques séances de gymnastique un peu particulières avec de jeunes novices, il passe son temps à inventer des jeux de mots qui se croisent. Mais, puisqu’on y purgerait ses péchés, tu pourrais par exemple l’appeler le Purgatoire.
    Il pose soudain son renard. Castelnau réagit en l’encerclant. Stranieri fait sauter son pion par-dessus deux oies d’un seul coup, et range ceux de son adversaire à côté de lui, en affichant un air satisfait. Le légat réplique en déplaçant une oie pour assurer ses arrières. Terrible erreur ! Il n’a pas vu le piège qui lui était tendu. À une vitesse déconcertante, Stranieri déplace son renard que la manœuvre du légat a libéré.
    — Et onze, et douze ! Je prends, je plume et je mange, Excellence ! Le renard est un grand dévoreur d’oies. Mais il vous en reste encore une. Voulez-vous continuer ?
    Castelnau, agacé, balaie les pions restants d’un revers de la main, puis leur ressert à boire à tous les deux.
    — Tes idées m’inquiètent, Stranieri. Elles m’inquiètent un peu plus, chaque fois que je te retrouve.
    — Pourquoi cela ?
    — Cette idée de Purgatoire, par exemple. Cette façon que tu as de toujours envisager les questions religieuses d’un point de vue pratique et avec un tel

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