L’ESPION DU PAPE
Ils déshonorent notre religion. Je les tiens pour partiellement responsables de l’échec de nos prédications. Tout ce qu’ils veulent, c’est créer une situation irréversible qui nous obligera à la guerre.
— Sait-on qui est leur chef ?
— Non, puisqu’ils circulent toujours cagoulés. Mais la rumeur veut que ce soit le seigneur de Gasquet. C’est un fort méchant homme, malgré l’ostentation avec laquelle il fait montre de sa croyance. Et son second, le baron Guiraud, est au moins aussi méchant homme que lui.
— Sa Sainteté ne t’a-t-elle pas donné pouvoir d’excommunication sur eux ?
— J’en ai le pouvoir, oui. Mais, pour excommunier, il faut des preuves incontestables, un débat et un jugement.
— Eh bien, j’ai une preuve pour toi.
Castelnau jette un coup d’œil surpris à Stranieri. Celui-ci fouille sous sa soutane et en sort la dague.
— J’étais à Savignac quand il y a eu un massacre, il y a une dizaine de jours. L’un des hommes cagoulés a perdu cette arme sur le terrain. Elle porte incrustée dans sa lame le blason de la seigneurie de Puech.
Le légat tire l’arme de son étui et l’examine, l’approchant tout près de ses yeux.
— Tu as raison.
Il la remet dans son étui et rend le tout à Stranieri, qui s’étonne :
— Tu ne la gardes pas ?
— Ce n’est pas une preuve incontestable.
— Comment cela ?
— L’homme qui la portait a pu l’avoir volée. Et, sans vouloir t’offenser, tu pourrais toi-même me mentir, pour parvenir à tes fins.
— Tu le penses vraiment ?
— Il y a longtemps que j’ai renoncé à deviner quand tu dis la vérité et quand tu mens.
— Et quelles fins crois-tu donc que je poursuive ?
Castelnau étouffe un petit rire.
— Certainement la plus grande gloire de Dieu, de notre Saint-Père et de notre Église.
— Alors, cela devrait te suffire.
— Non. Même si tu dis vrai, je ne peux pas prendre le risque d’entamer contre le seigneur de Gasquet une procédure dont il risquerait de sortir victorieux. Cela aggraverait encore les tensions entre notre communauté et celle des hérétiques. Nos frères catholiques se sentiraient accusés injustement, et les cathares seraient persuadés que nous ne voulons pas punir des assassins.
— En somme, Guillaume de Gasquet peut continuer impunément à commettre ses massacres ?
Les deux hommes se dévisagent, puis Castelnau se détourne et murmure :
— De toute façon, je crois la guerre inévitable.
Après un long silence, il ajoute :
— Guillaume de Gasquet n’a pas que ces crimes à son actif. Il est aussi le responsable du pillage du château du seigneur de Touvenel. Avec son écuyer Godefroy, ils ont violé sa femme ensemble et provoqué son suicide.
Stranieri accuse le coup.
— Tu m’as demandé des preuves. En as-tu pour ce que tu viens de me dire ?
— En tant que dignitaire de l’Église, c’est à moi qu’il a demandé de recueillir sa confession. Mais, si tu ne me crois pas, tu peux le savoir aussi par ce Godefroy, qui participait avec lui aux horreurs qui s’y sont commises, et qui, de honte, l’a quitté pour se faire ermite.
— Où ça ?
— Dans une grotte, en haut du roc de Mouillet.
Un nouveau silence s’installe entre les deux hommes. Au bout de quelques secondes, Castelnau se repent.
— J’ai trop parlé, c’est une grave faute de ma part. Mais nous sommes entre gens d’Église, et je compte sur ta discrétion.
— Cela va de soi. Mais pourquoi ne l’as-tu pas fait condamner ?
— Je suis lié par le secret de la confession. Et puis, crois-tu que la divulgation de ces crimes serait une bonne chose pour notre Église, alors que ce seigneur passe pour l’un de nos plus ardents défenseurs ? Sa honte rejaillirait immanquablement sur nous.
Et, comme Stranieri se tait, il ajoute :
— J’ai pris aussi en considération le fait que ce soudard, aussi dévoyé soit-il, est un bon soldat et que nous aurons grand besoin d’hommes comme lui quand la guerre éclatera.
Comme le jour commence à tomber, le légat propose à Stranieri de partager la halte qu’il compte faire pour la nuit dans une petite abbaye habitée par des frères cisterciens. Les hommes d’armes, les clercs et les religieux prennent demeure dans les granges et les communs, tandis que Castelnau se réserve la salle capitulaire avec Stranieri, Yong et deux de ses adjoints.
Trouvant les bancs de pierre taillés dans les
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