L’ESPION DU PAPE

leur besoin. Castelnau jette un regard d’envie sur Stranieri.
    — Tu y parviens plus facilement que moi, tu vois.
    — Tu as un peu de retard, c’est vrai, mais ce n’est pas forcément signe de mauvaise santé, affirme Stranieri après avoir jeté un bref coup d’œil à son voisin.
    — Ton jet est quand même plus puissant que le mien.
    — Peut-être en avais-je simplement plus envie ?
    — Mais le tien est dru, tandis que le mien est en arrosoir.
    — Simple différence de style. L’essentiel est que cela te soulage autant que moi.
    Et, remettant le premier son membre en place, il reste un moment à regarder Castelnau, qui n’en finit pas.
    — Si tu t’inquiètes autant, peut-être devrais-tu consulter un médecin, lui conseille-t-il, devant sa mine assombrie.
    — Un médecin ? Ah, non ! Je n’ai pas encore envie de mourir.
    Lassé d’attendre, Stranieri se détourne et lance :
    — Pense au moins à me prévenir si tu réussis à convaincre nos frères théologiens d’adopter cette idée de Purgatoire. Ça pourrait me rassurer, de savoir que mon âme aurait un lieu où aller qui lui éviterait l’Enfer. Et puis, c’est une idée qui présente de nombreux avantages pour le développement de la foi.
    — Tu le penses vraiment ?
    — Bien sûr. Elle introduira dans l’esprit des croyants la notion de calcul pour accéder au Paradis. L’Église pourrait décréter par exemple que les actes pieux ou les bonnes actions donneraient à leurs auteurs des réductions de peine et raccourciraient leur séjour dans ce Purgatoire.
    — Tu n’as pas tort. Ce pourrait être une conception moins simpliste de la justice céleste.
    — Je m’étonne même que notre Église n’y ait pas pensé plus tôt. Elle a tout à gagner à ce que la condamnation des pêcheurs ne soit plus irrémédiable. Cela les encouragera à bien faire, ou à se racheter en cas de mauvaise action. Peut-être même pourra-t-elle en accroître son commerce d’indulgences ? Tandis que, s’ils se savent condamnés à l’Enfer, ils n’ont plus qu’à persister à mal agir, puisqu’ils sont déjà perdus.
    Castelnau se rajuste à son tour.
    — Malgré tout, je crains que ton idée n’exige l’approbation d’un concile avant d’être adoptée. Nous ne serons donc probablement plus de ce monde, ni l’un ni l’autre.
    — Ce n’est pas grave. Si elle est adoptée et que nous sommes déjà en Enfer, on nous transférera.
     
    Aussitôt leur charrette hors de la vue de Castelnau, Stranieri ôte sa robe de moine et remet son costume de troubadour. Contrairement à ce qu’il a annoncé au légat, il n’a pas l’intention de se rendre directement au château de Puech. Il décide de retourner seul à Savignac pour rechercher Touvenel et le ramener avec lui à Fontfroide. De son côté, Yong, rejoindra le seigneur de Puech pour le rassurer en continuant de travailler à la mise au point de sa bombe. En effet, le délai que celui-ci leur a fixé pour trouver un coupable va bientôt arriver à son terme. La controverse prévue à Fontfroide doit avoir lieu dans moins de quinze jours. Il est donc important que Guillaume de Gasquet ait l’un d’entre eux près de lui pour ne pas croire à une trahison.
    En cheminant jusqu’à l’endroit où leurs routes doivent se séparer, Stranieri monologue à voix haute :
    — J’ai encore changé d’avis, Yong, tu m’en excuseras. Mais je pense que, cette fois, l’idée va te plaire et que tu vas cesser de me bouder comme tu le fais depuis quelques jours. Hier, en discutant avec Castelnau, mon projet m’a paru trop compliqué. Assassiner deux braves prédicateurs et causer la mort d’un innocent pour provoquer des conversions en masse et arrêter les persécutions contre les hérétiques, c’est viser trop haut. Et, pour le moins, prendre le risque d’un mouvement spontané de violence immédiate et sauvage que je ne pourrais peut-être pas contrôler. Je me rends de mieux en mieux compte, depuis que nous circulons dans ce pays, combien la situation est devenue tendue de toutes parts. Et surtout, quel qu’ait pu être le résultat de la combinaison que je projetais, il m’est devenu insupportable de penser que Guillaume de Gasquet s’en sortirait indemne. Surtout après ce que Castelnau m’a appris hier sur lui, sous le sceau du secret, et que je ne peux pas te révéler. Bref, j’espérais pouvoir faire condamner ce criminel grâce à la dague que