L’ESPION DU PAPE
la contemplation. Vous n’avez pas réussi comme vous vouliez, mais ce n’est pas le succès que Dieu récompense, c’est le travail. »
« Du Lotario, tout craché ! pense encore Stranieri, de plus en plus amusé. Sans doute aurait-il pu s’inspirer d’une aussi belle maxime, lui si paresseux lorsque nous faisions nos études à Paris. »
— Il t’a dit cela, vraiment ?
— Et aussi : « Insistez, argumentez, implorez et, à force de patience et d’éloquence, ramenez les dévoyés. » C’est à ce moment, pour m’épauler, qu’il m’a envoyé frère Dominique et l’évêque d’Osma.
— Que penses-tu de leur prédication ?
Le légat réfléchit, et ne peut que reconnaître :
— Que leurs efforts, aussi brillants soient-ils, n’ont guère donné plus de résultats que les miens.
— Avez-vous essayé de les conjuguer ?
— Bien sûr. En avril dernier encore, à Montréal, une citadelle de l’hérésie, je me suis joint à eux avec frère Raoul pour affronter les meilleurs champions cathares : Pons Jourdain, Arnaud Othon, Benoît de Termes et Guilabert de Castres. Quatre contre quatre. Le débat a duré quinze jours et cent cinquante hérétiques se sont convertis.
— Cent cinquante ! Ce n’est pas si mal.
Castelnau jette un coup d’œil plein de lassitude sur Stranieri.
— Une goutte d’eau dans la mer.
Et, comme l’espion du pape ne fait aucun commentaire, il poursuit :
— Je suis fatigué et déçu. Sans compter que ma santé me cause de sérieux soucis : une envie d’uriner me prend toutes les demi-heures, même quand je n’ai rien bu. Et puis, je ne crois plus aux vertus de ces débats contradictoires. Il y en a encore un prévu à Fontfroide, dans une quinzaine de jours. J’aimerais, après celui-là, pouvoir m’arrêter. Quand tu retourneras à Rome pour rendre compte de ta mission, je te serais reconnaissant de dire à notre Saint-Père que je le supplie instamment de me rendre à la méditation. J’ai vraiment passé l’âge de ces disputes.
— Et moi, crois-tu que je n’ai pas passé celui des intrigues ? soupire à son tour Stranieri.
— Au moins n’as-tu pas toujours besoin d’uriner ! Tiens, tu vois, en ce moment même, peut-être est-ce le fait de t’en avoir parlé, mais une furieuse envie me reprend.
Castelnau arrête son cheval et ordonne d’un geste au convoi derrière lui d’en faire autant. Les moines qui le suivent semblent habitués à ces haltes. Les chevaux marquent l’arrêt. Le légat descend de sa monture. Stranieri, du coup, saute de nouveau de la sienne.
— Si tu le permets, je crois que je vais t’imiter.
Les deux hommes vont vers un bosquet et se mettent à pisser de concert.
— Après tout, ne te plains pas de ces petits maux de santé, il y en a de pires, assure Stranieri. Pour être tout à fait franc, j’irais même jusqu’à penser que deux des activités les plus agréables que Dieu ait données à l’homme sont le pissage et le défécage. Après le baisage, bien sûr.
— Sans doute. Mais à condition de pouvoir les assouvir.
— Cela va de soi.
En se reculottant après avoir secoué son membre, le légat laisse retomber sa soutane et ajoute rêveusement :
— Avant de devenir archidiacre, puis de me retirer à Fontfroide, je ne détestais pas non plus le bâfrage et l’ivrognerie.
— J’en pensais autant dans ma jeunesse, avoue Stranieri.
Les deux hommes retournent vers leurs chevaux, remontent en selle et repartent, suivis par le cortège. Ils cheminent un moment, perdus dans leurs souvenirs.
— Parlons sérieusement, propose Castelnau. As-tu été chargé par le Saint-Père de me poser des questions, de me transmettre ses doléances, ou de me donner quelque nouvelle instruction ?
Stranieri décide de ne pas le laisser s’enfoncer dans cette méprise plus longtemps.
— Je ne suis pas venu ici comme enquêteur ni comme messager, Castelnau.
Le légat lui lance un regard surpris.
— Alors, qu’y fais-tu ?
— Innocent III m’a demandé de pénétrer la Confrérie Blanche comme l’eau se cache dans la mousse.
Le légat ne peut retenir une grimace de dégoût.
— Il ne faut pas fréquenter ces soudards. On ne peut que se salir à leur contact.
— Tu sais bien que je ne choisis pas ceux que notre Saint-Père confie à mon observation, malheureusement.
Castelnau hausse tout à coup le ton.
— Ce sont des gens qui tuent, qui pillent et qui violent.
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