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L’ESPION DU PAPE

L’ESPION DU PAPE

Titel: L’ESPION DU PAPE Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Madral , François Migeat
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qu’il s’est fixé : venger sa chère Esclarmonde des outrages qu’elle a subis. Quelle que soit sa véritable identité, ce Lestranger ne lui a-t-il pas déjà permis d’accomplir la moitié de sa mission en l’amenant jusqu’à l’écuyer Godefroy ? Quand il l’a vu ressurgir deux jours plus tôt à Savignac avec son luth et son chapeau orné de médailles, il a compris qu’il avait trouvé le moyen de le mettre en face de Guillaume de Gasquet. En face et seul à seul.
    Touvenel frémit d’impatience à la pensée que le seigneur de Puech se verra mourir de sa main et sera obligé de le regarder droit dans les yeux en quittant ce monde. Mais, quoi qu’il lui arrive à présent, il s’est juré que cet homme sera le dernier qu’il tuera. Plus jamais ensuite il ne touchera aucune arme, comme il l’a dit à Amaury. Si le soi-disant troubadour a voulu quitter la maison Paunac très tôt le matin et en toute discrétion, c’est pour que personne ne les voie déguisés ainsi. Bien que cathares, les Paunac n’ont jamais d’état d’âme à confectionner des vêtements pour les religieux catholiques qui le leur demandent. Il leur a donc été facile de puiser dans les réserves de l’atelier et d’y trouver deux robes de moines à leur taille.
    Le troubadour mène la marche à travers un fouillis de chênes verts rabougris, de genévriers et d’ajoncs, tout en frappant à chaque pas le sol de son bâton de pèlerin pour écarter les vipères, nombreuses dans ces endroits arides et rocailleux. Sur le plateau désert, balayé par la tramontane et où rien de bon ne pousse, il encourage Touvenel à presser le pas, de peur de se voir refuser l’entrée de l’abbaye à cause de l’affluence. Car une telle controverse, dans un lieu aussi prestigieux, ne manquera pas de réunir autant de personnages importants que de gens du peuple.
    Mais leur allure est ralentie à un coude du sentier par un obstacle imprévu : une vieille femme à genoux pleure auprès d’un homme allongé sur le dos. D’une besace à son côté dépassent des touffes d’herbes médicinales. Stranieri aperçoit tout de suite la morsure encore saignante et l’enflure bleue sur le bras nu de l’homme.
    — C’est arrivé quand il a plongé sa main sous les buissons pour récupérer une bouillée de thym, se lamente la paysanne. J’ai aperçu le serpent, il l’a mordu.
    — Avez-vous marché depuis l’accident ? s’enquiert Stranieri en se penchant sur le braconnier, pour l’ausculter.
    — Oui. Nous avons couru.
    — Voilà justement ce qu’il ne fallait pas !
    Il tâte le poignet de l’homme, pose son oreille sur sa poitrine, écoute son souffle, palpe son torse, exerce quelques pressions dessus pour tenter de rétablir le rythme cardiaque, mais l’homme a beau respirer encore faiblement, il ne réagit plus. Stranieri examine son œil et diagnostique :
    — Je ne peux rien faire. Il aurait fallu sucer la plaie à temps, aspirer le venin et le recracher.
    Visage contre visage, il demande à l’homme dont le souffle est devenu presque imperceptible :
    — Bougre, je ne veux pas te mentir ! Tu vas trépasser, l’au-delà t’attend. Recommande ton âme à Dieu.
    L’homme se fend d’un mince sourire avant de murmurer :
    — Enfin !
    Stranieri sort son crucifix de buis de sous sa robe et le lui présente.
    — Veux-tu embrasser l’image du Christ ?
    Dans un soubresaut, hagard, le paysan découvre le moine, son capuchon et sa robe de bure. Il repousse la croix avec horreur et détourne la tête : un prêtre de l’Église corrompue ne pourrait sauver son âme, encore moins cette image d’un supplice répugnant. Il roule sur le côté, les yeux ouverts sur le vrai monde dont les Parfaits lui ont tant parlé. Avec un sourire, il s’est enfin échappé de celui-ci, dont Satan est le prince.
    — J’ai été aussi impuissant à sauver son âme que sa vie ! constate Stranieri.
    Il se relève avec un regard peiné sur la femme secouée de sanglots. Elle se tord les mains, en demandant à voix haute dans quelle misère elle va terminer sa vie, à son âge, à présent que son homme, son seul soutien, est parti. Bien que « bonne femme », elle n’hésite pas à appeler Jésus, Marie, Joseph et tous les saints de la religion romaine à son secours. Stranieri et Touvenel sont aussi émus l’un que l’autre de ne pouvoir soulager une telle détresse. Ils restent un moment près d’elle, à la consoler,

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