L’ESPION DU PAPE

lance un regard furieux.
    — Notre sort en dépend ! Le tien autant que le mien. Ne sommes-nous pas considérés comme des hérétiques ?
    — Je t’en prie, Amaury ! implore Yasmina, en quêtant du regard l’aide de Constance.
    — Yasmina a raison, ce n’est pas ton affaire.
    — J’ai déjà dit que les mots peuvent être plus forts que les actes, déclare dans leur dos une voix grave.
    Tous se retournent. Paunac est apparu sur le seuil de la porte. Face à son père, Amaury se fige et baisse les yeux devant ce regard noir et profond qu’il craint depuis son plus jeune âge.
    — C’est moi qui conduirai la délégation qui controversera à l’abbaye de Fontfroide, explique le Parfait. Je ne veux pas qu’un jouvenceau sans expérience et sans cervelle puisse compromettre notre mission par des propos mal venus ou des actes d’humeur incontrôlables. Tu ne viendras donc pas avec nous.
    Amaury relève la tête.
    — Père, combien de temps continuerons-nous à disputer avec des gens qui ne veulent rien entendre et ne parlent que d’excommunication ?
    Paunac pointe un index menaçant vers son fils.
    — Suffit ! Je te vois toujours enflammé par tes sentiments. Tu as le droit de défendre une cause parce qu’elle te paraît juste, mais tu dois savoir mesurer qu’une autre cause peut le paraître aussi aux yeux de ceux qui sont tes adversaires. C’est ainsi seulement que les hommes arrivent à vivre ensemble. Tout dans l’existence comme dans les idées n’est pas aussi tranché que tu le crois. Apprends qu’il y a du bien dans le mal et du mal dans le bien, et comprends au moins que si nous voulons faire triompher notre religion, il faut que nous restions exempts de tout reproche d’intolérance.
    Après un court instant d’hésitation, Amaury voit que tous le regardent fixement et attendent une réaction de sa part. La gorge nouée, les poings crispés, il finit par admettre :
    — Je reconnais ma tendance à l’emportement, père. Je vous promets de ne rien faire qui puisse compromettre cette dispute de Fontfroide.
    — Ce n’est pas ce que je t’ai demandé. Je ne veux simplement pas que tu y ailles.
    Amaury peine à prononcer les mots qu’attend son père. Il y parvient, finalement.
    — C’est bon, père. Je vous assure que je n’irai pas.
    — Bien, Amaury. Me voici rassuré, se radoucit Paunac en posant une main affectueuse sur son épaule.
    — Cependant…, ose Amaury.
    — Quoi, encore ?
    — Si la dispute de Fontfroide se terminait en notre défaveur ? À cause d’une étrange procédure, comme à la chapelle du vallon d’Arques.
    — Cela ne se produira pas, tranche Paunac. Nous n’accepterons plus de nous plier à des rites magiques, sans doute inspirés par le Démon. En restant seulement dans la dispute, l’Église de Rome sera cette fois forcée de reconnaître la justesse de nos arguments. Ainsi, comtes, vicomtes et seigneurs du Languedoc seront-ils obligés de défendre notre cause, de nous protéger et de faire respecter notre foi.
    Amaury baisse de nouveau la tête, mais serre un peu plus fort les poings, persuadé que ces maudits catholiques trouveront encore un moyen pour faire échouer la controverse, et que les légats, les cagoulés de la Confrérie Blanche et tous les autres suppôts de l’Église de Rome continueront à les poursuivre de leur haine.

24.
    Quel effet cela fait-il, de se retrouver vêtu d’une robe de bure, le visage caché sous un capuchon de moine, une dague dissimulée entre ses plis ? Aucun, à part que le tissu rêche de ce froc le gratte nettement plus que le drap fin de sa tunique de croisé. S’être déguisé ainsi lui procure un certain amusement, à présent qu’il se sent devenu incroyant. Il serre dans sa main la broche d’Esclarmonde, pendue à la place du crucifix de bois qu’il devrait porter autour du cou. Il chemine par un vent terrible, bâton de pèlerin à la main, coquille de saint Jacques accrochée à sa robe, sur l’un des sentiers qui mènent à l’abbaye de Fontfroide.
    Il est parti avant l’aube, en compagnie de Lestranger venu le rechercher. Il n’a dit à personne qu’il partait avec lui au débat organisé par Castelnau. De toute façon, il préfère que nul ne sache la raison pour laquelle il a changé d’avis. Il fait à présent une confiance aveugle à ce mystérieux homme, arrivé dans sa vie comme un envoyé du destin, pour lui faire accomplir jusqu’au bout le dessein