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L’ESPION DU PAPE

L’ESPION DU PAPE

Titel: L’ESPION DU PAPE Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Madral , François Migeat
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puis lui enjoignent d’aller au bourg voisin quérir une charrette pour emmener le corps du défunt. La femme se relève et s’éloigne, résignée, tandis que les deux hommes reprennent leur route. Quelques pas plus loin, le chevalier ne peut se retenir de demander à son compagnon :
    — Qu’y a-t-il après la mort, le sais-tu ?
    Stranieri lui jette un regard surpris.
    — Personne ne le sait.
    — Mais qu’en penses-tu, toi ?
    — Que chacun est libre d’organiser à sa guise sa propre éternité.
    Le vent forcit encore. Les deux hommes serrent leur capuchon autour de leur visage pour se protéger autant qu’ils le peuvent. Le chevalier semble toujours plongé dans un abîme de réflexions peu riantes.
    — Ne sois pas si sombre ! lui dit Stranieri. Nous ne pouvions rien faire de plus pour cet homme. Et puis, d’après sa croyance, il vit à présent dans l’éternité. Pense que c’est une consolation pour lui.
    — Une consolation, l’éternité ! Parfois, je me dis qu’elle doit sembler bien longue.
    — Dans ce cas, adopte leur nouvelle religion. Ils croient en la réincarnation. Tu pourras revenir sous une autre forme, si cela te plaît tant de vivre sur cette terre.
    Touvenel, agacé, lève les yeux au ciel avec un haussement d’épaules.
    — Je ne plaisante pas, poursuit Stranieri. Nul ne connaît la vérité à ce sujet. Après tout, cette idée de réincarnation court à travers bien d’autres contrées et chez bien d’autres peuples. J’ai eu l’occasion de le constater au cours des voyages que j’ai faits. Ce sont peut-être ces peuples qui sont dans le vrai. Je ne suis même pas loin de penser comme eux que la matière dont nous sommes faits circule depuis toujours, avant et après notre mort. Qu’elle se compose, se décompose et se recompose sans fin en se recréant chaque fois sous d’autres formes. Pourquoi n’aurions-nous pas été tour à tour homme ou femme, poisson ou cheval, herbe ou arbre ? Il est déjà si étrange d’être né une fois, pourquoi ne le serions-nous pas deux, trois, ou même plusieurs ?
    — Notre matière visible, peut-être, mais notre âme ?
    — Notre âme ?
    Stranieri jette un coup d’œil sur Touvenel, hésitant à prolonger sa pensée, puis renonce soudain et se contente de remarquer :
    — Il y a notre âme, bien sûr. Mais sait-on de quoi elle est faite ?
    Touvenel lui adresse un regard étonné. Les deux hommes poursuivent leur marche contre le vent de plus en plus violent qui plaque leur robe contre leur corps. Le chevalier est obligé de crier pour se faire entendre :
    — Tu aimerais te réincarner, toi ?
    — Peut-être.
    — En quoi ?
    — Si je revenais après ma mort, j’aimerais n’être personne.
    Le vent soulève des nuages de poussière, balaie devant lui des broussailles ou des rameaux arrachés aux arbres, plie au sol la végétation buissonneuse. Apercevant un bosquet un peu plus loin, ils courent s’y abriter. Parvenus derrière les épais branchages, les deux hommes se frottent les bras et le corps pour se réchauffer. Touvenel reprend :
    — N’est-ce pas déjà réalisé ?
    — Quoi donc ?
    — Ton désir de n’être personne ?
    — Pourquoi dis-tu cela ?
    — N’es-tu pas déjà tout le monde et personne ? Un troubadour, un moine, et quoi d’autre encore ?
    Stranieri ne répond rien, Touvenel le saisit par le bras, l’oblige à le regarder et insiste :
    — Je te le demande sérieusement, à présent : qui es-tu ?
    Tous deux se fixent, les yeux dans les yeux. Touvenel lâche le bras de Stranieri et s’écrie, comme saisi d’effroi :
    — Tu me fais l’effet d’un diable. Serais-tu son envoyé ?
    Sans lui répondre, Stranieri pointe son bâton de pèlerin vers une petite bâtisse rustique et blanche surmontée d’une croix, à quelques dizaines de pas, en contrebas d’un sentier.
    — Allons nous abriter un moment dans cette chapelle.
    — Il n’y fera guère plus chaud.
    — Sans doute, mais nous y serons au moins à l’abri du vent.
    Et, sans attendre sa réponse, il descend en courant vers l’abri. Touvenel se résigne à courir derrière lui pour le rejoindre.
    Forçant une porte branlante, les deux hommes se faufilent à l’intérieur de la chapelle. Ils y tombent en arrêt devant une danse macabre fraîchement peinte sur l’abside, ornée d’un Christ en croix, la tête en bas. Une volonté de blasphème, sans doute ? Touvenel frissonne et jette un

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