L’ESPION DU PAPE
de tout compromettre. Il faut que tu me fasses confiance et que tu te laisses guider par moi. T’ai-je trompé, quand je t’ai amené une première fois à l’ermite Godefroy ?
Le chevalier se résigne à ne pas en savoir davantage et reprend sa route sans poser plus de questions.
Le débat qui doit avoir lieu importe peu à Stranieri. Ce qu’il veut, c’est retrouver au plus vite Yong, resté auprès de Guillaume de Gasquet, et éviter que la bombe qu’on lui a imposé de fabriquer ne provoque les dégâts espérés. En passant les lourdes portes ouvertes de l’abbaye, Touvenel et lui aperçoivent le seigneur de Puech sur son cheval, entouré de quatre de ses hommes d’armes, un peu à l’écart d’un groupe formé sur une tribune par l’évêque d’Osma, frère Dominique et le légat Castelnau. Stranieri fait signe à son compagnon de rabattre comme lui son capuchon sur son visage. Les nouveaux arrivants, canalisés par les moines de l’abbaye et les gardes de Castelnau, se dirigent vers la cour d’honneur. Touvenel et Stranieri suivent le mouvement, quand un tumulte éclate derrière eux, à la hauteur du porche qu’ils viennent de franchir.
À la moue sardonique de Gasquet qui donne des ordres à l’un de ses hommes, Stranieri comprend qu’un groupe de Parfaits, conduit par Philippe de Paunac, se heurte aux rangs de moines qui veulent leur interdire le passage. « Une provocation de Gasquet pour échauffer les esprits et faire monter la tension », pense Stranieri. Des cris fusent derrière lui, on s’invective :
— Hérétiques ! Apôtres de Satan. Fils du Diable !
— Menteurs ! Simoniaques ! Exploiteurs !
Parmi les cathares les plus excités, Touvenel reconnaît quelques jeunes de Savignac qui semblent prêts à en découdre avec les moines de Fontfroide. Leurs visages haineux affichent la même intolérance que lorsqu’il les a vus s’en prendre à frère Dominique. Il remarque avec soulagement qu’Amaury n’est pas parmi eux. « Il a donc tenu parole, comme il l’a promis à son père, et n’est pas venu assister au débat », pense le chevalier, soulagé et soudain plein de reconnaissance envers le jeune homme.
De loin, le moine troubadour et lui assistent, impuissants, au déchaînement des instincts les plus primaires. L’esprit de recueillement, qui avait accompagné jusque-là l’arrivée des marcheurs s’est brusquement brisé. « Bons hommes » et « bonnes femmes » huent ceux qui les empêchent d’entrer. Les clans catholiques et cathares se mélangent en un désordre bruyant et agressif. Des instruments de musique, sortis des besaces, enrobent le tout d’un tintamarre assourdissant.
Stranieri voit Paunac, débordé, chercher à contenir la fureur de ses « bons hommes ». L’affrontement paraît inévitable. Du haut de son cheval, Guillaume de Gasquet jouit du chaos qui envahit l’abbaye. Que coule une seule goutte de sang, et tout ce qui a été préparé et organisé dans un consentement mutuel et pacifique volera en éclats ! Il pourra alors en profiter pour lancer ses hommes, et, sous prétexte de rétablir l’ordre, le glaive tranchera sans discernement dans la foule. Mais l’évêque d’Osma descend de la tribune et intervient. La foule s’écarte avec respect devant ce vieil homme à l’air si sage, qui s’appuie sur sa crosse pour atteindre les rangs des moines qui font obstacle.
— Que se passe-t-il ? Pourquoi retenir ces gens ? C’est avec eux que nous allons débattre.
— Monseigneur, c’est un sacrilège de laisser pénétrer des hérétiques dans un lieu consacré. Ils ne doivent pas entrer ici avant d’avoir au moins baisé la croix de Notre-Seigneur.
— S’il ne s’agit que de cela, raille l’évêque, je vais invoquer la permission exceptionnelle de Notre-Seigneur pour ces « Bons Hommes ».
De la volute dorée de sa crosse, il décrit une croix dans le ciel, vers le groupe des cathares. Puis, avec une politesse appuyée, il incline la tête vers Paunac et ses Parfaits, les invitant à pénétrer dans la cour d’honneur. Marchant de conserve avec frère Dominique et le chef des Parfaits, sa simple intervention suffit à rompre les rangs des moines et à faire une escorte aux responsables cathares jusqu’au bâtiment des convers, où les attend la délégation des débatteurs catholiques. Stranieri et Touvenel en profitent pour se glisser dans le flot des moines derrière le légat Castelnau,
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