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L’ESPION DU PAPE

L’ESPION DU PAPE

Titel: L’ESPION DU PAPE Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Madral , François Migeat
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aperçue en haut de la colline. Nul âme qui vive aux alentours, à part quelques tournoiements d’oiseaux de proie en quête de nourriture.
    Au terme d’une épuisante ascension, ils parviennent enfin au sommet. Au grand soulagement du chevalier, une voix lui répond lorsqu’il toque à la porte de la ruine qui sert d’abri à l’ermite. Mais, lorsque l’homme apparaît sur le seuil, ce n’est plus un prêtre qu’ils découvrent sur les marches du petit bâtiment de pierres sèches. L’anachorète barbu et chevelu s’est transformé en une ombre d’une effrayante maigreur vêtue de noir, les os saillants, la peau tendue sur son visage comme sur une tête de mort. Les cheveux longs mais bien peignés, la barbe courte et soigneusement taillée, une bible à la main, il a un mouvement de recul en découvrant la croix pourpre cousue sur le bliaud du croisé. Il abrége les salutations de bienvenue et, ramassant prestement des paniers d’osier tressés et de rudimentaires rouleaux de châles tissés, il les charge sur les flancs d’un mulet aussi famélique que lui.
    — Excuse-moi, chevalier, mais je ne peux pas vous accueillir. Je suis attendu pour vendre au marché, et il me faut une heure pour m’y rendre. Usez de ma maison, si vous souhaitez vous abriter un moment du soleil. Vous y trouverez un peu de pain et une jarre d’eau de pluie.
    — Tu fabriques toi-même ces objets ? demande Touvenel en regardant la marchandise que charge l’homme.
    — Oui. C’est ainsi que j’occupe le temps que me donne le Seigneur.
    — Et tu en tires assez profit pour vivre ici ?
    — Je me contente de peu, chevalier, comme tu peux voir. Dans une société sans mœurs, l’austérité est agréable et nous rapproche de Dieu. Évidemment, je pourrais aussi tanner des peaux de lapins, les alentours regorgent de gibier. Cela me rapporterait bien davantage. Les dames les aiment pour leurs manteaux.
    — Et pourquoi ne le fais-tu pas ?
    L’ermite jette un coup d’œil sur la croix ornant le bliaud de Touvenel.
    — À nous autres, il est interdit d’ôter la vie.
    Touvenel a compris la désapprobation. Il acquiesce.
    — Je partage ton dégoût de mon costume, mais sache que, si je continue de le porter, c’est seulement que je n’en ai pas d’autre. Je suis parti combattre pour la plus noble des causes, celle de Dieu, mais cette guerre, qui devait être juste, s’est transformée contre mon gré en tout autre chose.
    — Pour nous, cathares, il n’y a ni noble ni juste guerre. Seule la folie des hommes ose mêler le nom de Dieu à cela.
    Touvenel observe l’homme qui finit de charger son mulet.
    — Et si un criminel dangereux t’attaquait, ou une vipère ou un loup ?
    L’homme ébauche un sourire et lui fait face.
    — J’aurais le droit de me défendre, mais j’essaie plutôt de ne jamais me mettre en situation d’être attaqué par un criminel, une vipère ou un loup.
    — Et que ferais-tu si cela t’arrivait ?
    — Il est aussi sacrilège de tuer une bête « ayant du sang » que de tuer un homme. Ma doctrine enseigne que tuer pour se défendre est un péché aussi grave que tuer par malice.
    — Tu ne réponds pas à ma question.
    — Je crois que je me laisserais tuer, dévorer ou piquer, tout en priant le Seigneur qu’il m’épargne cette épreuve.
    Touvenel, un moment silencieux, demande à l’homme si, lorsqu’il reviendra de son marché, il pourra les assister pour l’ensevelissement du corps de Robert et réciter la prière des morts. L’ermite se récuse tout net :
    — Je ne rentrerai pas avant demain. Il sera trop tard pour ton compagnon perdu. De toute façon, je ne fais plus partie de votre Église et je ne peux pas dire vos sacrements, pour lui. Je ne crois plus à votre baptême, ni à votre communion, ni à aucun de vos rites, encore moins à ceux de la mort et du passage au divin. Ce sont pour moi des actes sacrilèges, inventés par une Église que je ne reconnais plus.
    Et, comme il voit Touvenel et Yasmina terriblement désemparés d’être montés jusque-là pour rien :
    — Cependant, cette terre et ce petit cimetière appartiennent à tous. Vous pouvez y procéder entre vous comme vous l’entendrez.
    Puis, se détournant, il monte sur son mulet, comme s’il ne voulait plus échanger un mot. Touvenel tente encore de le retenir maladroitement en balbutiant quelques paroles où il est question de confiance, de confession, de pardon, de repentance.

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