L’ESPION DU PAPE
clarté véritables
Dieu puissant, apportez-moi, s’il vous plaît
Votre aide fidèle
Ces quelques mots chantonnés haut et fort lui avaient apporté un peu de réconfort, mais n’avaient pas semblé du goût des reîtres. L’un d’eux avait ricané :
— Tu parles étranger, le trouble-fête ? Sais-tu au moins parler la langue d’oïl ?
Le chevalier avait approché son visage tout près du sien et articulé distinctement :
— Mort aux barbares, sales Franciens !
— Tu voudrais nous empêcher de besogner ? s’était étonné le deuxième croisé.
— Et tu nous insultes ! avait ajouté le premier.
— Retourne à tes écuries, le Languedocien !
— Sinon, on t’écorche vif du haut en bas.
Sans leur répondre, avec l’énergie du désespoir qui lui donnait encore la force de vaincre, le chevalier était parvenu à arracher la jeune fille aux soudards et à faire rempart de son corps pour la protéger. Les deux hommes avaient tiré leurs glaives et s’étaient rués sur lui. Il avait réussi à porter un coup fatal au premier. Mais il n’avait pu anticiper la riposte du second et son coup de taille l’avait frappé à l’épaule, heureusement amorti par sa cotte de mailles. Il s’était effondré, la lame de son adversaire prête à s’abattre sur lui pour l’achever, quand l’homme était soudain tombé à genoux avant d’avoir pu accomplir son geste. Son épée, au lieu de lui fendre le crâne, avait lentement glissé le long de son visage en entaillant sa joue. Une ombre s’était dressée derrière son agresseur. Elle l’avait empoigné par les cheveux, avait tiré sa tête en arrière et planté son poignard dans sa gorge.
— Par Dieu, seigneur ! Pardonnez-moi cette intervention. Acte odieux entre croisés, sans doute. Mais ce soudard voulait vous importuner. J’ai en détestation ceux qui ne respectent pas les usages.
À cette voix gouailleuse, le chevalier avait reconnu Robert, son écuyer perdu au cours de la bataille, aussi couvert de sang que lui. Il avait voulu le toucher, mais, bouche ouverte, les yeux clos, sa tête s’était affaissée sur la poitrine de la jeune fille qu’il venait de sauver.
— Je vous ai interrompu, au milieu de la strophe, avait continué l’écuyer. Je vais la reprendre.
Et il avait chantonné à son tour :
Beau seigneur, ne dormez plus
Éveillez-vous doucement
Car je vois grandir à l’orient, l’étoile
Mais il n’avait pas eu le temps de poursuivre. Une flèche surgie de l’ombre s’était fichée au creux de ses reins. Dans un râle, son fidèle Robert avait basculé en avant. Le chevalier, qui ne distinguait plus rien, avait rampé vers lui pour le secourir. Il n’en avait plus la force. Il avait fermé les yeux. Une main avait enserré son poignet, tandis qu’une voix irréelle lui murmurait à l’oreille :
— Croisé, tu as tué un croisé pour sauver une Mauresque. Mais qui pourra sauver ton âme dans les ténèbres où tu t’en vas ?
« La voix de la mort, avait pensé le chevalier. Elle sera donc venue me chercher. Pour me conduire où ? Quelle solitude y a-t-il au bout ? »
Ce n’est plus la main de la mort mais celle de Yasmina que tient maintenant celle du croisé. Tous deux ont repris leur marche au petit matin, pour éviter la chaleur du jour. Le chevalier n’a pas voulu abandonner le corps de son écuyer en terre profane, sous un vulgaire tumulus de sable et de galets. Il a décidé de l’ensevelir en un lieu consacré, à plusieurs lieues de là, près d’une chapelle où séjournait, avant son départ en croisade, un ancien prêtre de Savignac qu’il a connu dans sa jeunesse. En désaccord avec les autorités du diocèse, l’homme avait quitté sa paroisse en fulminant contre la vie menée par le haut clergé, ses passe-droits, ses privilèges, son arrogance, et s’était installé dans un hameau abandonné, sur un piton rocheux, où il vivait en anachorète et avait acquis la réputation d’un saint homme.
Ils marchent depuis plus de deux heures, épuisés par la chaleur, brûlés par le soleil, les oreilles assourdies par le délire crissant des insectes. La sueur leur coule du front aux joues et se perd dans l’encolure de leur mince cotte de toile. Le corps de l’écuyer chargé en travers du dos du mulet, Yasmina et Touvenel continuent, le cheval tenu par la bride, harassés, les pieds blessés par les cailloux du raidillon. Ils montent vers la chapelle
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