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L’ESPION DU PAPE

L’ESPION DU PAPE

Titel: L’ESPION DU PAPE Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Madral , François Migeat
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jeunesse avec qui je faisais mille frasques ! Sans doute a-t-il moins vieilli que moi, à l’abri des épreuves dans le confort de son château de Puech. Mais quelle arrogance dans ses traits, quelle véhémence dans sa parole !
    Gasquet se reprend et pointe avec calme un doigt sur le paysan.
    — Toi-même, es-tu chrétien ou cathare ?
    — Les cathares sont des chrétiens, monseigneur.
    — Si tu le prétends, c’est que tu es cathare, conclut aussitôt Gasquet.
    Et, se tournant vers ses hommes d’armes :
    — Saisissez-vous de lui ! Voyez s’il porte la preuve !
    Le paysan esquisse un mouvement pour s’échapper. Deux hommes de Gasquet lui barrent le passage. Il se débat. Deux autres se précipitent pour le maîtriser et le traînent devant l’autel. On lui ôte sa tunique, on déchire sa chemise, et on découvre autour de sa poitrine un fil de lin attaché sous les aisselles.
    — Et voilà ! s’exclame Gasquet. Il porte bien le signe ! C’est un cathare.
    Brandissant le crucifix qu’il porte en pendentif, il l’embrasse avant de prendre l’assemblée à témoin.
    — Je vais vous montrer, moi, comment on reconnaît un cathare d’un chrétien. Allez, bonhomme, embrasse cette croix !
    Le paysan se débat et se détourne de l’insigne religieux avec horreur. Il s’indigne :
    — Un vrai chrétien ne peut embrasser l’instrument de supplice de Notre-Seigneur !
    — Vous voyez, il blasphème ! triomphe Gasquet. Croyez-vous donc possible de discuter avec ces gens ? Non ! Un hérétique n’a rien à faire dans la maison de Dieu.
    Se tournant de nouveau vers ses hommes d’armes, il ajoute :
    — Jetez-le dehors et rossez-le, pour lui apprendre à ne pas revenir souiller la maison de Dieu.
    Traîné vers la porte de l’église, le paysan résiste et explose :
    — Vous ne pourrez jamais m’expulser de la maison de Dieu. Elle est partout, dans les champs, dans les arbres, dans les sources, dans les rochers. Elle est en nous, les « bons hommes » ! Nous sommes la maison de Dieu !
    Exaspérés par sa résistance, les gens de Gasquet font pleuvoir des coups sur lui. L’un d’eux, plus dur que les autres, le fait taire. Un filet de sang coule de sa bouche. Il se laisse entraîner, mais les reîtres continuent de le frapper.
    Dans leur dos, une voix puissante s’élève soudain :
    — Notre église est un lieu de paix. Laissez cet homme, et sortez !
    Touvenel vient de surgir. Sa haute stature, son air décidé, sa mine sévère, autant que son manteau de croisé, en imposent aux hommes d’armes. Ils lâchent leur prise. Le paysan en profite pour s’échapper. L’un des hommes de Gasquet se lance à sa poursuite et parvient à le rattraper avant qu’il sorte. Mais Touvenel court derrière lui, l’agrippe par le col, le soulève du sol et le ramène dans l’allée centrale. Le silence s’est abattu sous la nef. Hommes et femmes s’écartent sur le passage du croisé. Certains s’inclinent, reconnaissant le seigneur de Carrère. D’autres joignent les mains ou se signent. Touvenel continue de traîner sur le sol, telle une dépouille, l’homme d’armes qui braille et gesticule. Parvenu devant l’autel, avec un regard méprisant pour le trio de prélats à l’ombre des voûtes, il projette sa prise aux pieds de Guillaume de Gasquet. Les deux hommes s’affrontent du regard. Gasquet est visiblement impressionné par la croix sur le bliaud, et les cicatrices au visage du croisé.
    — Me reconnais-tu ? lui demande Touvenel.
    Comme l’autre semble incertain, il précise :
    — Bertrand de Touvenel. L’homme qu’Esclarmonde t’a préféré. Un chevalier qui a fait pèlerinage en Terre sainte et qui a le droit de parler de « croisade » autant que toi, qui n’y as fait qu’un passage sanglant pour y assouvir tes instincts criminels. Et depuis ? Moi, j’ai essayé de racheter mes fautes. Mais toi ? Je vois que tu as progressé dans le mauvais, Guillaume. Méfie-toi de ne pas faire un pas de plus vers la damnation.
    Jugeant tout à coup qu’il a trop parlé, Touvenel se tourne vers le chœur de l’église et cherche des yeux la femme à la guimpe blanche et à la silhouette élégante. Mais elle a disparu du pilier derrière lequel elle se tenait, et il découvre à sa place un troubadour au chapeau de feutre constellé de médailles pieuses, qui le considère d’un air intéressé. « Étrange vision, pense-t-il. Que vient faire un tel personnage

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