L’ESPION DU PAPE
de la nuit, comme pour y puiser piété et inspiration, et fait trois pas en avant. D’un regard acéré, il parcourt le demi-cercle des « bons hommes » en pointant un doigt vers eux :
— Cathares ! Vous avez proclamé que le monde avait deux auteurs, Dieu qui aurait créé l’esprit et les âmes, et le Diable qui aurait créé la matière et le corps. Cette doctrine est à nos yeux une hérésie contraire à tous les dogmes de la sainte Église, d’autant plus redoutable qu’elle conduit à adorer le Diable en cachette, puisqu’il serait le créateur de nos corps. Pour cette raison et parce qu’elle vous conduit à refuser tous les sacrements de notre Église, nous la rejetons et vous sommons de l’abandonner sous peine d’excommunication.
Un murmure de désapprobation monte des rangs des « bons hommes ». Guillaume de Gasquet se lève et crie :
— Ajoutez à cela, monseigneur, que ces impies refusent d’embrasser la sainte Croix.
D’un geste de la main, frère Dominique lui intime l’ordre de rester en dehors du débat et invite Philippe de Paunac à prendre à son tour la parole. Le vieil homme s’avance, bien droit, la tête haute, les bras croisés sur la poitrine. D’une voix douce mais résolue, il s’adresse à l’évêque d’Osma.
— Vos sacrements n’ont à nos yeux aucune valeur. Les voilà, les pièges de Satan, puisque vous faites croire aux hommes que ces rites purement matériels peuvent leur apporter le salut. Mais ni l’eau du baptême ni le pain de l’hostie ne sauraient être les véhicules de l’esprit, puisqu’ils sont matière impure. C’est sacrilège que de vouloir les faire adorer à la place de l’Esprit-Saint.
Des cris montent des rangs des catholiques.
— Anathème ! Anathème !
Frère Dominique lève les bras en croix, le visage apaisant, et se tourne vers son camp pour faire revenir le calme. Le silence se fait. Le moine se tourne vers Philippe de Paunac et lui fait signe de conclure. Le Parfait reprend :
— Le Démon, qui est le prince de ce monde, a si bien détruit l’œuvre de Jésus qu’une fausse Église s’est substituée à la vraie et a pris le nom de « chrétienne ». Elle n’est en réalité que l’Église du Diable, car la seule qui possède le Saint-Esprit et perpétue l’enseignement des Évangiles, c’est la nôtre, l’Église des vrais croyants.
Le dos tourné à l’assemblée, il rejoint sa place auprès des Parfaits. Tous les regards convergent en direction du jury composé d’un nombre égal de membres des deux parties. Les juges chuchotent entre eux un moment, puis leur porte-parole se lève et s’adresse aux deux orateurs.
— L’avis du jury est que les deux intervenants ont fait part égale et que nous ne pouvons donner l’avantage à aucun d’entre eux.
La sentence est accueillie dans un silence glacial. Soudain, le lugubre cri de la Faramine fait sursauter tout autant les catholiques que les cathares. « Ils sont là, autour de nous, pense Touvenel, prêts à intervenir. Que la dispute se termine à l’avantage des “bons hommes”, et ils n’hésiteront pas à les trucider sur le chemin du retour. » On n’entend plus que le crépitement du feu. L’évêque d’Osma, recoiffé de sa mitre, a du mal à se contenir.
— Plus de deux heures de dispute pour rien ! Que vous faut-il donc, pour vous convaincre ? Quel qu’il soit, vous devez rendre un jugement, nous sommes tous venus ici pour cela.
Les juges décident de se concerter une nouvelle fois. Après d’autres palabres, leur porte-parole s’avance et déclare :
— Le jury propose que chacun des orateurs écrive ses arguments sur un parchemin, et le soumette à l’épreuve du feu.
— L’épreuve du feu ! s’écrient ensemble, incrédules, Paunac et l’évêque d’Osma.
— Si l’un des deux parchemins ne brûle pas, c’est que Dieu lui-même lui aura donné raison, continue le moine.
— Quelle idée stupide et sacrilège ! s’insurge l’évêque, appuyé par une moue dubitative de frère Dominique.
— Je suis de l’avis de l’évêque d’Osma, l’appuie Paunac. Une telle épreuve est infamante pour toutes les religions.
— Demandons son avis à l’assemblée ! tonne tout à coup une voix.
Guillaume de Gasquet s’est levé. Tous le fixent des yeux. Il poursuit :
— Rien ne serait pire que d’être venus ici pour rien. L’épreuve du feu n’est pas autre chose qu’un jugement de
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