L’ESPION DU PAPE
animal sauvage, une bête de légende. Ceux qui l’ont vue sans en mourir ont rapporté que son visage était beau et qu’il portait de longs cheveux noirs sur un corps de biche. Un griffon féminin. Une bête de la mort, cruelle et implacable. On raconte qu’elle déchire les hommes qu’elle réussit à entraîner dans les bois, après qu’ils ont fait l’amour avec elle.
Yasmina se blottit un peu plus contre Touvenel. Il la serre affectueusement pour la rassurer.
— Ce sont des légendes. Personne n’a jamais vu cette Faramine. Moi, je ne crois pas qu’elle existe, ajoute-t-il.
Il caresse les cheveux de la jeune femme et lui sourit.
— Et toi, tu es bien là, vivante et douce. C’est tout ce qui compte.
— Jamais je ne dévorerai un homme après l’avoir aimé, essaie-t-elle de plaisanter.
Et elle ajoute, comme à regret :
— Peut-être parce que je n’ai jamais eu l’occasion d’en aimer un.
Il saisit sa main et passe ses doigts maigres et forts entre les siens, paume contre paume, dans une longue étreinte. En la serrant contre lui, le menton posé sur sa tête, les yeux mi-clos vers le ciel, il éprouve pour elle un sentiment d’amour paternel qu’il n’a encore jamais connu. Est-ce parce qu’il a découvert qu’elle s’était présentée pour la première fois ce matin à Constance comme sa fille adoptive ? Il lui montre le ciel.
— Tu vois ces étoiles filantes ? Si tu fais un vœu, avant que celle que tu as choisie se soit éteinte, il se réalisera.
— On dit la même chose aux enfants de mon pays. Alors, je vais faire un vœu. Écoute bien !
— Tais-toi ! l’interrompt-il, en posant sa main sur sa bouche. Prononcé à haute voix ou connu d’un autre, ton vœu ne vaudrait plus rien.
En sentant les lèvres de Yasmina embrasser délicatement l’intérieur de sa main et prononcer quelques mots inaudibles, il détourne le visage pour qu’elle n’aperçoive pas son émotion.
— Il y a d’autres étoiles que celles du ciel, continue-t-il. Regarde.
Il lui désigne à leurs pieds, à un quart de lieue, deux files de lumières qui serpentent par des chemins séparés vers un grand feu. Les flammes d’un brasier déchirent la nuit au sommet d’un promontoire, en éclairant la façade blanche d’un petit bâtiment.
— Le vallon d’Arques et sa chapelle. « Bons hommes » et catholiques s’y rendent pour disputer dans un débat contradictoire, ainsi qu’ils disent. Mais ce feu si intense me fait plus penser à un bûcher qu’à un point de ralliement.
— Et si tu acceptais l’invitation que t’a faite cette femme, Constance de Paunac ? suggère Yasmina.
— Je ne te laisserai pas seule dans cette ruine.
— Avoue que tu rêves de la revoir et que c’est à elle que tu pensais tout à l’heure, au milieu de la nuit.
Touvenel ne sait comment réagir au regard tendrement malicieux que lui lance Yasmina. Un père doit-il accepter de se laisser ainsi moquer par son enfant ? Elle poursuit :
— Allons-y ensemble, je suis curieuse, la nuit me protégera et personne ne pourra deviner la présence d’une infidèle .
— Ne serait-ce pas plutôt toi qui espères y revoir ton jeune cavalier ? raille le Chevalier.
La sentant soudain frissonner, il s’inquiète :
— Tu grelottes ! Tu es malade ? Il faut te reposer.
— Non, je me trouve très bien, lui ment-elle. Je ne me sens pas du tout fatiguée.
Sous la lumière d’un minuscule quartier de lune, sautant d’un rocher à l’autre, accrochant leurs vêtements aux buissons, glissant sur les lauzes à fleur de sol, Touvenel et Yasmina descendent le sentier qui mène à la chapelle. Les hululements de plus en plus présents de la Faramine les escortent. La jeune femme peine à marcher mais elle ne veut pas que Touvenel s’en aperçoive. Elle trébuche sur une racine d’arbre et roule à terre. Au lieu de l’aider à se relever, Touvenel se jette sur elle et la maintient plaquée au sol. Au risque de s’y déchirer la peau, il la force à se glisser dans une ravine, sous un bosquet d’épineux. Il vient d’entendre tout près d’eux un nouveau cri de la Faramine.
Des pas de chevaux, des voix s’approchent. Des hommes en blanc, cagoule rabattue sur la nuque, passent, indécis, cherchant à repérer une présence humaine. Les ont-ils entendus ? Au souvenir de la scène du massacre des « bons hommes », Yasmina, prise de panique, veut s’enfuir. Elle se laisse
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