L’ESPION DU PAPE
aussi : tu ne dois pas faire peur à ceux à qui tu t’adresses.
L’élève baisse le regard.
— Non. Si tu baisses les yeux, ça te donne l’air fourbe. Regarde-moi plutôt en me souriant, toi. Mais un sourire de douceur. Ça atténuera la dureté de ton regard, puisque tu ne peux pas la contrôler.
L’élève affiche un léger sourire et braque de nouveau ses yeux dans ceux de son professeur.
— Je t’ai dit un sourire de douceur. Je voulais dire : de bonté, de bienveillance. Pas ce sourire de sicaire !
Damiano modifie légèrement son sourire. Le maître le considère un moment, puis abandonne.
— Il faudra que tu t’entraînes devant un miroir. Essaie déjà de ne pas te faire peur à toi-même. Je veux que tu me montres demain matin un sourire qui ne me laisse pas l’impression que tu vas me planter un couteau entre les omoplates dès que j’aurai le dos tourné. Compris ?
Damiano approuve de la tête.
— Développe un peu ta réponse, à présent.
— Un ennemi veille continuellement à épier toutes nos actions, il est à l’affût de la moindre de nos failles, il fait le guet autour de notre vie. Il nous contraint donc, bien mieux qu’un ami, à nous observer, à ne rien faire ni rien dire à l’étourdie ou à la légère, mais à rester toujours à l’abri de toute critique.
Un sourire effleure à présent le visage du professeur.
— C’est très bien, Damiano.
Gardant les yeux rivés dans ceux de son élève, il caresse de nouveau son collier de barbe pensivement.
— Et que pourrais-tu dire, pour en tirer une leçon plus générale ?
— Que la vigilance à laquelle un ennemi nous astreint devient pour nous une habitude de vertu.
Cette fois, le visage du professeur s’illumine. Il gratifie l’élève d’une légère tape sur la joue.
— Excellent. C’est excellent. Rassieds-toi. Avez-vous entendu, tous ? Copiez sur vos tablettes cette phrase que je vous ai apprise hier, et souvenez-vous en : « La vigilance à laquelle un ennemi nous astreint devient pour nous une habitude de vertu. » Cette règle doit être absolue pour les espions que vous voulez être. C’est pourquoi il faut toujours préférer un ennemi à un ami. Seuls vos ennemis vous rendent meilleurs. Les amis, eux, ne font qu’amollir vos sens.
Au fond de la classe, un élève pointe le doigt. D’un signe de tête approbateur, le professeur l’invite à parler. Le jeune homme se lève.
— Maître, ne peut-on cependant pas se venger d’un ennemi qui nous a fait du tort ?
Le professeur soupire.
— J’ai abordé cette question dans mon cours précédent, Marcello. Pas plus tard qu’avant-hier. Tu ne t’en souviens donc pas ?
Marcello hoche la tête piteusement. D’autres veulent parler, mais leur maître leur fait signe qu’il se charge lui-même de la réponse.
— Deuxième règle incontournable : hormis la légitime défense qui implique de tuer votre ennemi plus rapidement qu’il ne vous tuera lui-même, la meilleure vengeance contre lui est de l’affliger par votre maîtrise de vous-même. Profitez donc toujours de l’élan de ses attaques au lieu de les contrer, et laissez-les ainsi s’effondrer d’elles-mêmes. À quoi cela te fait-il penser, Marcello ?
— À l’art que frère Yong nous enseigne dans ses exercices physiques.
— Précise.
— Quand il nous fait utiliser la force de notre adversaire pour l’entraîner au sol sous le poids de sa propre attaque.
— Exactement.
On frappe à la porte.
— Qu’est-ce que c’est ? s’écrie le professeur avec agacement.
— Frère Stranieri ! entend-il appeler.
Il reconnaît la voix de Vittorio.
— Eh bien, entre !
Le castrat pénètre dans la salle et s’approche de lui. À mi-voix, il lui annonce que le Saint-Père demande à le voir d’urgence.
— Dis à Sa Sainteté que je viendrai dès que j’aurai fini mon cours.
Vittorio semble embarrassé.
— Mais, frère Stranieri, Sa Sainteté m’a chargé de vous dire que l’affaire est de toute urgence.
Un petit sourire se dessine sur les lèvres de Stranieri.
— Je m’en doute, Vittorio, je m’en doute ! Mais sais-tu quelle est l’urgence la plus urgente de toutes ?
Vittorio secoue la tête sans comprendre.
— C’est de préparer l’avenir. Et que crois-tu que je fais en ce moment ? Je forme les soldats secrets qui défendront notre Église contre les périls qui la menacent de toutes parts. C’est une
Weitere Kostenlose Bücher