L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
donnés après sa mort à l’éducation de ses nièces, elle connaissait toutes ses vertus, et elle savait que cette inflexibilité rigide qui était le caractère distinctif de sa vie publique n’était pas celui de sa vie privée. Il était connu en Virginie comme un maître aussi doux et aussi généreux qu’il était juste, et ce n’était pas sans une espèce d’orgueil que miss Peyton voyait son concitoyen dans l’homme qui commandait les armées, et qui en quelque sorte réglait les destins de l’Amérique. Elle savait que Henry n’était pas coupable du crime dont il était accusé, et avec la simplicité ingénue de son innocence, elle ne pouvait concevoir ces distinctions légales et ces interprétations des motifs d’une action qui faisaient prononcer une peine quand il n’avait pas été commis de crime. Mais son espoir et sa confiance devaient bientôt prendre fin. Vers midi, un régiment qui était campé sur le bord de la rivière vint occuper le terrain situé en face de la maison occupée par la famille Wharton, et y dressa ses tentes dans l’intention annoncée d’y rester jusqu’au lendemain pour rendre plus solennelle et plus imposante l’exécution d’un espion anglais.
Dunwoodie s’était acquitté de tout ce qui lui avait été prescrit, et il était libre d’aller rejoindre ses troupes, qui attendaient impatiemment son retour pour marcher contre un détachement ennemi qui, comme on le savait, s’avançait lentement sur les bords de l’Hudson pour couvrir un parti de fourrageurs. Il avait été accompagné par quelques dragons de la compagnie de Lawton commandés par le lieutenant Mason, dont on avait présumé que le témoignage serait nécessaire pour constater l’identité du prisonnier. Mais l’aveu du capitaine Wharton avait rendu inutile de produire aucun témoin à ce sujet {42} . Le major, tant pour éviter le spectacle douloureux de la tristesse des amis de Henry que par crainte d’en éprouver l’influence, avait passé tout le temps qui s’était écoulé depuis le jugement à se promener seul, en proie à la plus vive inquiétude, à peu de distance de la ferme. De même que miss Peyton, il avait quelque confiance en la clémence de Washington, mais des doutes et des craintes se présentaient à chaque instant à son esprit. Les règles du service militaire lui étaient familières, et il était plus habitué à regarder son général sous le rapport de chef de l’armée qu’à prendre en considération les détails de son caractère personnel. Un exemple terrible n’avait que trop bien prouvé tout récemment que Washington était au-dessus de la faiblesse de faire grâce quand son devoir s’y opposait. Tandis qu’il se promenait ainsi dans le verger, flottant sans cesse entre l’inquiétude et l’espoir, Mason s’approcha de lui, prêt à monter en selle.
– Pensant que vous pourriez avoir oublié les nouvelles qui nous ont été apportées ce matin, Monsieur, j’ai pris la liberté de faire mettre le détachement sous les armes, dit Mason avec une sorte d’insouciance, en faisant sauter avec son sabre couvert de son fourreau les têtes des molènes qui se trouvaient sur son passage.
– Quelles nouvelles ? demanda le major avec distraction.
– Que John Bull est entré dans le West-Chester avec un train de chariots, ce qui nous forcera, s’il parvient à les remplir, à nous mettre en retraite à travers ces maudites montagnes pour chercher des fourrages. Ces Anglais affamés sont tellement enfermés dans l’île d’York, que lorsqu’ils se hasardent à en sortir, il est rare qu’ils laissent assez de paille pour faire la litière d’une vache.
– Où dites-vous que l’exprès les a laissés ? cela m’est entièrement sorti de la mémoire.
– Sur les hauteurs au dessus de Sing-Sing, répondit le lieutenant fort étonné. Toute la route en deçà est comme un marché à foin, et tous les troupeaux de porcs soupirent et se lamentent en voyant des voitures de grains passer devant eux pour se rendre à Kingsbridge. Le sergent d’ordonnance de George Singleton qui a apporté cette nouvelle dit que nos chevaux sont à délibérer s’ils ne partiront pas sans leurs cavaliers, pour tâcher de faire encore un bon repas, car ils ne savent trop quand ils pourront se remplir l’estomac. Si nous souffrons que ces Anglais emportent leur proie, nous ne serons pas en état de trouver à Noël un morceau de lard assez gras pour pouvoir
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