L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
une autre.
– C’en est assez, dit le colonel Singleton avec dignité. Vous avez le noble aveu d’un homme bien né, que pouvez-vous attendre de plus de cet esclave ! Capitaine Wharton, vous voyez la malheureuse impression qui existe contre vous, avez-vous d’autres témoins à faire entendre ?
Henry ne conservait alors que bien peu d’espérance ; toute sa confiance commençait à l’abandonner : mais un vague espoir que les traits intéressants de Frances pourraient lui être de quelque secours fit qu’il fixa les yeux sur elle. Elle se leva sur-le-champ et s’avança vers les juges d’un pas chancelant. Ses joues pâles devinrent rouges comme le feu, et elle resta debout devant les juges, d’un air modeste mais ferme. Portant la main à son front, elle sépara les boucles de cheveux qui le couvraient et se montra belle d’innocence, et d’une grâce sans égale. Le président se couvrit les yeux un moment, comme si cet œil expressif et ces joues animées lui eussent rappelé plus vivement encore une image qu’il ne pouvait oublier. Son émotion ne fut que momentanée ; sa fierté en triompha, et il lui dit d’un ton qui décelait ses désirs secrets :
– C’est donc à vous que votre frère avait communiqué le dessein qu’il avait de rendre une visite secrète à sa famille ?
– Non, non, répondit Frances en appuyant une main sur son front brûlant comme pour recueillir ses idées. Il ne m’en avait rien dit ; nous ne l’attendions pas quand il est arrivé. Mais est-il besoin d’expliquer à de braves militaires qu’un fils s’expose volontiers à quelques dangers pour voir son père, et cela dans un temps comme celui-ci, dans une situation comme la nôtre ?
– Mais était-ce la première fois qu’il venait vous voir ? lui demanda le colonel avec un air d’intérêt paternel. Ne vous a-t-il jamais annoncé une visite ?
– Pardonnez-moi, s’écria Frances remarquant l’expression de bienveillance de sa physionomie. Celle-ci était la quatrième.
– Je le savais bien ! s’écria le vétéran en se frottant les mains de plaisir. C’est un fils aussi ardent qu’affectueux, et je vous le garantis, Messieurs, un brave soldat sur le champ de bataille. Sous quel déguisement est-il venu les autres fois ?
– Il n’en avait aucun. Cette précaution n’était pas nécessaire ; les troupes royales couvraient le pays, ce qui le mettait à l’abri de tout danger ?
– Est-ce la première fois qu’il est venu sans l’uniforme de son corps ? demanda le président d’une voix presque tremblante et en évitant les regards de ses collègues.
– Oui, bien certainement, répondit la pauvre fille avec empressement. Si c’est une faute, c’est la première.
– Mais vous lui avez écrit, vous l’avez pressé de venir ? vous désiriez sûrement le voir ? demanda le colonel avec un léger mouvement d’impatience.
– Si nous le désirions ! Nous le demandions tous les jours au ciel, et avec quelle ferveur ! Mais nous n’osions avoir aucune communication avec l’armée royale, de crainte d’exposer mon père à quelque danger.
– Et pendant son séjour chez vous a-t-il fait quelque absence ? y est-il venu quelque étranger ?
– Personne, à l’exception d’un de nos voisins, un colporteur nommé Birch, et…
– Que dites-vous ? s’écria le colonel en pâlissant et en tressaillant comme si une vipère l’avait piqué.
Dunwoodie laissa échapper un gémissement, se frappa le front de la main, s’écria involontairement : – Il est perdu ! et se précipita hors de l’apppartement.
– Harvey Birch, répéta Frances en fixant ses yeux égarés sur la porte par laquelle son amant venait de sortir.
– Harvey Birch ! s’écrièrent en même temps les trois membres composant la cour martiale. Les deux juges à figures impassibles se regardèrent d’un air expressif, et jetèrent ensuite sur le prisonnier un coup d’œil pénétrant.
– Messieurs, dit Henry en s’avançant de nouveau devant ses juges, ce ne peut être une nouvelle pour vous que d’apprendre que Harvey Birch est soupçonné de favoriser la cause du roi, car il a déjà été condamné par un de vos tribunaux militaires à subir le destin que je vois m’être réservé. Je conviens que c’est lui qui m’a procuré un déguisement pour passer vos piquets ; mais je soutiendrai jusqu’au dernier soupir que mes intentions étaient aussi pures que
Weitere Kostenlose Bücher