L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
s’asseoir à côté de miss Singleton.
– Lawton, s’écria le jeune homme avec vivacité dès qu’il vit entrer son ami, avez-vous des nouvelles du major ?
– Il a déjà envoyé deux ordonnances pour savoir, comment nous nous trouvons tous dans le lazaret.
– Et pourquoi n’est-il pas venu lui-même ?
– Ah ! c’est une question à laquelle le major seul peut répondre, répliqua Lawton d’un ton sec. Mais vous savez que les habits rouges sont en campagne, et Dunwoodie ayant le commandement de ce côté, il faut qu’il surveille ces Anglais.
– Sans contredit, répondit lentement Singleton comme s’il eût été frappé des motifs allégués par son camarade pour justifier l’absence du major. Mais comment se fait-il que vous soyez ici les bras croisés quand il y a de la besogne à faire ?
– Mon bras droit n’est pas dans le meilleur état possible, dit Lawton en se frottant l’épaule, et Roanoke est encore presque boiteux de sa chute. D’ailleurs j’en ai une autre raison que je pourrais vous donner, si je ne craignais pas que miss Wharton ne me le pardonnât jamais.
– Parlez, je vous prie, sans craindre mon déplaisir, Monsieur, dit Frances détournant un instant ses yeux de la physionomie de miss Singleton en rendant le sourire de bonne humeur du capitaine avec la gaieté maligne qui lui était naturelle.
– Eh bien ! s’écria Lawton dont la figure s’épanouissait en parlant ainsi, l’odeur qui sort de votre cuisine, miss Wharton, me défend de partir avant que je sois en état de parler avec plus de certitude des ressources du canton…
– Oh ! ma tante Peyton fait ses efforts pour faire honneur à l’hospitalité de mon père, dit Frances en souriant, et il faut que j’aille partager ses travaux si je veux avoir part à ses bonnes grâces.
– Priant alors Isabelle de vouloir bien l’excuser, elle alla rejoindre sa tante, en réfléchissant sur le caractère et l’extrême sensibilité de la nouvelle connaissance que les circonstances avaient amenée chez son père.
L’officier blessé la suivit des yeux tandis qu’elle se retirait avec une grâce qui avait encore quelque chose d’enfantin ; et quand elle fut sortie, il dit en s’adressant à son camarade :
– On ne trouve pas souvent une tante et une nièce semblables, Jack ; celle-ci semble une fée, mais la tante est un ange.
– Ah ! George ! je vois que vous vous portez mieux ; vous retrouvez votre enthousiasme.
– Je serais aussi ingrat qu’insensible si je ne rendais justice à l’amabilité de miss Peyton.
– C’est une matrone de bonne mine, dit le capitaine sèchement. Quant à l’amabilité, George, vous savez que c’est une affaire de goût. Pour moi, avec tout le respect possible pour le beau sexe, ajouta-t-il en saluant miss Singleton, j’avoue que quelques années de moins me conviendraient mieux.
– Elle n’a certainement pas vingt ans ! s’écria vivement Singleton.
– Sans contredit. Supposons-lui-en dix-neuf, dit Lawton avec une extrême gravité. Cependant elle paraît quelque chose de plus.
– Vous avez pris la sœur aînée pour la tante, dit Isabelle en lui fermant la bouche avec sa jolie main. Mais il faut que vous gardiez le silence ; une conversation si animée nuirait à votre guérison.
L’arrivée du docteur Sitgreaves, qui remarqua avec alarme une augmentation de symptômes fébriles dans son malade, fit mettre à exécution cette ordonnance prudente, et Lawton alla rendre une visite de condoléance à Roanoke, qui avait été aussi froissé que son maître par sa chute de la veille. Il reconnut à sa grande joie que son coursier était comme lui-même en pleine convalescence. À force de frotter les membres de l’animal pendant plusieurs heures sans intermission, on lui avait rendu ce que le capitaine appelait le mouvement systématique des jambes. Il donna donc ses ordres pour qu’on le sellât et bridât en temps convenable pour qu’il pût aller rejoindre son corps aux Quatre-Coins, après le dîner dont l’heure approchait.
Pendant ce temps, Henry Wharton était entré dans l’appartement de Wellmere, et comme une heureuse sympathie les unissait tous deux dans l’opinion qu’ils s’étaient formée d’une affaire dans laquelle ils avaient été également malheureux, le colonel se rendit bientôt ses bonnes grâces à lui-même, et se trouva par conséquent en état de se lever et de voir en face un ennemi dont
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