L'Etoffe du Juste
perdu. Peut-être même reverrais-je Cécile un jour. Je l’espérais de tout mon être. Mais
pour cela, je devais d’abord être en vie et la seule façon de m’en assurer était de protéger la Vérité. Je n’avais aucun autre choix.
Je vidai le gobelet et l’abattis résolument sur la table. J’empoignai mon ceinturon et le bouclai, puis passai ma capeline et sortis. Je n’arriverais à rien en restant enfermé, à attendre comme une jouvencelle qui se languissait pour son amant. Je devais avant tout déterminer si Guy de Montfort était encore à Gisors. Je ne pouvais pas me mettre à interroger tous ceux que je croiserais, mais, comme l’avait dit Métatron, j’avais des yeux pour voir et une cervelle pour penser. Il était plus que temps de m’en servir pour m’assurer que la voie que j’avais suivie était la bonne ou pour corriger le tir.
Une fois dehors, j’errai dans la cour et traînai près de la résidence de sire Jehan, espérant apercevoir le jeune Montfort, mais sans succès. Il ne me servait à rien de demander aux gardes s’ils l’avaient vu. Je savais fort bien où il était entré. Ce que j’ignorais, c’était s’il s’y trouvait toujours ou s’il en était secrètement ressorti. Cela, il n’y avait qu’un moyen de le vérifier. Je devais pénétrer dans la Tour du Prisonnier. En plein jour, la chose était impensable. Il s’y trouvait inévitablement des gardes. Mais rien ne m’empêchait d’aller faire une promenade sur le chemin de ronde et d’examiner les lieux de près. Peut-être y verrais-je plus clair par la suite.
L’air d’un promeneur oisif, je me dirigeai vers l’escalier que Montfort avait emprunté la veille en compagnie de Lambert de Thury et je le gravis. Arrivé au sommet, je jetai un coup d’œil. Comme je l’avais imaginé, de là-haut, la vue sur la campagne environnante était impressionnante et s’étendait sur des lieues à la ronde. Du haut du donjon, au centre de la forteresse, elle devait être dix fois meilleure.
J’étais sur le chemin de ronde depuis quelques minutes lorsque je m’aperçus avec étonnement qu’il était désert. En plein jour, il aurait pourtant dû s’y trouver des sentinelles. J’eus beau les chercher du regard et attendre, je n’en vis aucune. C’était anormal et c’est sur mes gardes que je poursuivis ma promenade. Soudain, je remarquai la silhouette qui se tenait devant la porte de la Tour du Prisonnier. Le vent faisait claquer sa capeline, dont le capuchon cachait son visage. L’homme était aussi immobile qu’une statue, mais son attention était visiblement braquée sur ma personne. Puis une bourrasque s’engouffra dans son capuchon et le rabattit à moitié. Je restai figé sur place. L’homme qui me dévisageait était Lambert de Thury.
Dès qu’il comprit que je l’avais reconnu, il ouvrit la porte et disparut en trombe dans la tour. Réfrénant mon désir de m’élan-cer à sa poursuite et de lui faire cracher où était Montfort à la pointe de ma dague, je m’avançai lentement pour ne pas attirer l’attention. Parvenu à la porte, je jetai un coup d’œil de chaque côté du chemin de ronde. Toujours personne. Je testai doucement la poignée et fus surpris de la trouver déverrouillée. À cet instant, je souhaitai plus que jamais avoir Ugolin et Jaume à mes côtés. Tout empestait le guet-apens à plein nez et je me souvenais des enseignements de Bertrand de Montbard, qui m’avait mille fois répété de ne jamais me lancer tête baissée dans un combat. Mais je devais savoir de quoi il retournait. Conscient du danger, mais impuissant à le réduire, j’ouvris et entrai.
La pièce était vide. Une table en bois et un banc grossier de chaque côté en constituaient tout l’ameublement. Au mur, des épées, des arbalètes et des piques étaient soigneusement rangées dans des râteliers, prêtes à être saisies. Je me trouvais dans la salle des gardes où les rondes s’organisaient et d’où on pouvait répondre prestement à toute alerte. Mais de gardes, point. J’examinai les écuelles et les gobelets qui traînaient sur la table. Les restes de nourriture et les fonds de vin étaient encore frais. Quelqu’un avait mangé ici voilà quelques heures, tout au plus. Et quelqu’un aurait encore dû s’y trouver.
Sur le mur du fond, une échelle menait à l’étage supérieur, que l’on atteignait par une ouverture carrée pratiquée dans le plafond de bois. Je tendis
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