L'Etoffe du Juste
le roi ennemi, Richard Cœur de Lion en personne, puis emprisonné pendant plusieurs années.
— Tu es bien informé, contra-t-il, mais tu ne vois que l’apparence des choses. Leurs motivations t’échappent. Si j’ai combattu à Gisors, ce n’était pas par loyauté à la France, mais pour protéger la Vérité. Et je n’étais pas le seul. Plusieurs des membres des Neuf étaient à mes côtés.
Il franchit les quelques pas qui nous séparaient et s’assit dans le fauteuil libre à ma droite.
— À cette époque, le pape et le roi de France étaient de mèche. Philippe avait participé à la troisième croisade. Il avait dû entendre parler de la Vérité durant son séjour en Terre sainte car, à son retour, il s’intéressait beaucoup trop à Gisors. En 1193, il s’est emparé de la forteresse et s’est aussitôt mis en frais de la faire fouiller par ses hommes les plus loyaux. Heureusement, sire Jehan, qui était déjà seigneur des lieux et membre de l’Ordre à cette époque, a toujours su manœuvrer discrètement pour le lancer sur de fausses pistes.
Mon regard se porta sur Jehan de Gisors, qui haussa les épaules avec modestie.
— Malgré cela, reprit Pierrepont, Philippe persévérait et il était à craindre que, tôt ou tard, il en trouve la piste, fût-ce par hasard. En 1198, quand j’ai constaté que la bataille tournait à l’avantage des Anglais, je l’ai convaincu de fuir et, en prenant sa place, j’ai conduit les troupes françaises à une défaite certaine. J’ai payé un prix élevé, certes, mais le fait que Gisors soit aux mains de l’Angleterre nous donnait un répit. Les Anglais, eux, ne savaient rien de la Vérité et ne l’ont jamais cherchée. Quand Jean sans Terre, le nouveau roi d’Angleterre, a rendu la forteresse à la France, deux ans plus tard, les membres de l’Ordre ont simplement réintégré les lieux et repris possession du temple. Pour ma part, je suis revenu quand j’ai été libéré en 1202. Depuis, nous veillons, comme le font tes frères dans le Sud.
— Et pourtant, te voilà maintenant croisé ! tonna Jaume.
— Comme tu vois, fit Pierrepont en haussant les épaules. Nous l’avons fait par devoir.
— Prétends-tu que le fait de massacrer des femmes, des enfants et des vieillards sans défense contribue à protéger la Vérité ? cracha le templier. Ne me prends pas pour une barrique que tu peux remplir à volonté !
Pierrepont se leva et alla se planter devant Jaume.
— Tu confonds la protection de la Vérité avec celle de la foi des cathares, mon ami. Je ne peux t’en blâmer, évidemment. Pour vous autres, dans le Sud, les deux vont de pair, mais pas ici. Quand la croisade a été annoncée, nous avons vite compris qu’il ne s’agissait que d’un prétexte invoqué par Innocent III pour tenter de retrouver la première part de la Vérité, et qu’Arnaud Amaury et Montfort feraient tout pour y parvenir. Il était nécessaire de garder un œil sur eux.
— Quitte à commettre les mêmes atrocités, l’accusa Ugolin.
— Il vaut toujours mieux garder son ennemi près de soi. Ainsi, au moins, on sait ce qu’il fait. Malheureusement, pour cela, il faut se fondre à lui, devenir invisible. C’est pourquoi Thury, moi-même et quelques autres nous sommes croisés. Notre réputation nous assurait un excellent accueil et il n’a pas fallu beaucoup de temps avant que nous nous retrouvions dans le cercle des intimes de Montfort.
— La première part de Vérité a été en danger plus d’une fois dans le Sud depuis l’arrivée des croisés et, pourtant, je ne t’ai pas vu intervenir, lui reprocha sèchement Ugolin. Le sang qui a été versé pour sa protection n’était pas le tien, que je sache !
Pierrepont hocha lentement la tête et laissa échapper un soupir déchirant.
— Non, en effet. Qu’aurions-nous pu faire sans être démasqués ? Nous devions nous contenter de jauger les intentions de Montfort, de voir comment il procédait, de l’étudier...
— Pour mieux protéger votre part, et non la nôtre, compléta Pernelle. Chacun ses affaires, en quelque sorte.
— Je constate que votre réputation de femme intelligente est bien méritée, bonne dame. Vous avez vu juste. Il ne s’agissait pas d’aider à préserver la première part, qui était sous la responsabilité d’un autre groupe dont nous ne savions rien, mais plutôt de mesurer
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