L'Etoffe du Juste
ici, déclara-t-elle d’une voix tremblante.
— Pernelle, tu sais bien que c’est impossible. Soigne-le et je le ramènerai au village.
— Non, tu n’y es pas. Il a une terrible fluxion de poitrine. Il est. mourant.
Puis retentirent les sanglots les plus déchirants que j’eusse jamais entendus.
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Rendons grâce à Dieu.
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Le médecin soigne, la nature guérit.
Chapitre 13 Immolation
Point n’est besoin de dire combien la déclaration de Pernelle me troubla. D’abord parce que je savais que mon amie en avait le cœur brisé, mais aussi parce que le fait d’avoir retrouvé Odon vivant m’avait un peu allégé la conscience. Qu’une de mes victimes ait survécu représentait peut-être un premier pas sur la voie de la rédemption. Et sa mort annoncée me pesait plus encore que la première.
Je passai la plus grande partie de la journée auprès de mes compagnons, indifférent au fait que le jeune Montfort se demanderait certainement où j’étais passé et à l’inquiétude qu’il en concevrait. Avec la tempête qui ne faiblissait pas, il n’irait nulle part et, dans l’état où j’étais, je me fichais pas mal qu’un soldat profite de mon absence pour lui ramoner les fondements.
Le froid était tranchant et nous dûmes nous résoudre à rentrer dans l’abri. Entassés les uns contre les autres, nous ne pouvions que regarder Pernelle se démener pour soigner le fils qu’elle n’avait retrouvé que pour le perdre encore. Contrôlant courageusement ses émotions, elle avait envoyé Ugolin chercher son coffre, resté attaché à sa monture en prévision du départ maintenant reporté. Dès qu’il l’avait ramené, elle l’avait fouillé frénétiquement et en avait sorti un petit chaudron de cuivre, puis avait demandé qu’on le remplisse de neige. Cela fait, elle l’avait mis sur le feu, ajoutant régulièrement de la neige jusqu’à ce qu’il soit plein d’eau bouillante. Elle y avait fait infuser toutes les feuilles de saule qu’elle possédait encore, mêlées à d’autres herbes que je ne connaissais pas, puis en avait fait boire le produit à Odon. Elle avait ensuite extrait de son coffre un pot de terre rempli d’une poudre verdâtre et une bouteille d’huile. Dans un mortier, elle avait mélangé le tout avec un pilon de métal pour en faire un onguent à l’odeur forte et pimentée qu’elle avait étendu sur la poitrine de son fils, puis l’avait frictionné énergiquement jusqu’à ce que le tout ait pénétré la peau. Avec l’aide d’Ugolin, elle l’avait ensuite retourné sur le ventre pour recommencer le même manège sur son dos. La pauvresse suait à grosses gouttes sous l’effort, mais lorsque Jaume lui avait offert de la remplacer un peu, elle avait secoué sèchement la tête sans même le regarder. Ce fut seulement lorsqu’elle eut terminé qu’elle nous laissa remettre le garçon sur le dos.
Pernelle sortit alors un linge propre de son coffre et le plongea dans l’eau bouillante. Elle étendit une nouvelle couche d’onguent, plus épaisse que la première, sur la poitrine de son fils, et l’y laissa. Puis elle requit la dague de Jaume et s’en servit pour repêcher le linge. Pour ne pas se brûler, elle attendit quelques secondes avant de le tordre, et le posa, encore fumant, par-dessus l’onguent.
— Vos couvertures ! ordonna-t-elle.
Ugolin et Jaume s’empressèrent de ramasser les vilaines étoffes dans lesquelles ils s’enroulaient pour dormir et les lui tendirent. Elle en recouvrit son enfant et le borda, comme la mère qu’elle était. Puis elle se pencha pour effleurer son front d’un baiser et lui caressa la joue avec une tendresse telle que je crus que mon cœur allait se fendre. Une fois encore, je maudis mon sort, qui me privait du secours de la prière, car j’aurais volontiers supplié Dieu d’éloigner ce nouveau calice des lèvres de ma tendre amie.
Après quelques heures de ce traitement vigoureux, la toux d’Odon se calma et sa respiration se fit plus libre.
— Il s’en sortira ? m’enquis-je, anxieusement.
— Je. je ne sais pas, dit-elle en ravalant un sanglot. Medicus curat, natura sanat 4 . Sa vie est entre les mains de Dieu.
— S’il meurt, il sera libéré de la chair, dame Pernelle, lui dit Ugolin, avec une infinie douceur.
— Par Dieu, si j’ai quelque chose à y voir, il y restera encore longtemps ! répliqua-t-elle d’un ton cassant. Je ne l’ai pas
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