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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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claques dans le dos et qu’on me félicitait fort.
    —    Etait-ce bien. nécessaire ? demanda Guy d’une voix vacillante.
    —    À défaut de lui ouvrir la gorge, c’était le meilleur moyen d’abréger ses souffrances, sire. Inconscient, il ne sentira plus rien.
    Le jeune homme ne dit mot. Pour ma part, sachant que plusieurs yeux étaient braqués sur moi, je me forçai à regarder le spectacle en souriant à pleines dents, alors qu’en esprit je ne voyais que l’église de Rossal, flambant avec le village entier à l’intérieur et le père Prelou adossé au brasier. Une fois encore, le village était embrasé par la haine et la folie.
    Sur le bûcher, les flammes enveloppaient maintenant Gerbaut et lui léchaient la peau, sur laquelle se formaient des cloques qui éclataient aussitôt dans un sinistre grésillement. Même inconscient, son corps se tordait et décrivait une macabre danse. Sa chevelure avait disparu et la peau de son crâne dénudé semblait fondre comme la cire d’un cierge. La chair se serrait sur ses os et se fendait. Malgré moi, je grimaçai de dégoût. Près de moi, Guy détourna la tête et vomit dans la neige.
    Soudain, la tête de Gerbaut se redressa et il écarquilla les yeux.
    —    Pater, in manus tuas commendo spiritum meum 6 ! s’écria-t-il d’une voix forte, imitant le Christ des Evangiles - celui dont on prétendait qu’il avait expiré sur la croix.
    Puis son menton s’affaissa pour de bon sur sa poitrine. Après quelques minutes, ses liens cédèrent et le corps calciné s’écroula dans les flammes. Devant le bûcher fumant, les deux moines se tenaient raides et fiers, le visage en extase, convaincus d’avoir été l’instrument de la justice divine.
    —    Que ceci vous serve tous de leçon ! s’exclama Guillot. Ce bûcher n’était qu’un avant-goût des tourments qui attendent les pécheurs en enfer ! Réformez-vous pendant qu’il est encore temps !
    —    Demain, c’est la Noël, ajouta Brun. Célébrez en bons chrétiens la naissance de Notre-Seigneur !
    Les villageois sonnés se relevèrent et, abattus, retournèrent en silence vers leurs demeures pendant que Rossal s’emplissait de la fumée âcre produite par le martyre de leur prophète. Je restai là un moment à considérer l’ironie de la situation. Ces deux prêtres avaient trouvé une fort belle façon de célébrer la naissance de ce faux Fils de Dieu sur la tombe duquel leur Église avait érigé un édifice de mensonge.
    La nuit était illuminée par les braises lorsque Montfort et moi rentrâmes dans l’étable.
    Le sommeil refusant de venir, je finis par abdiquer et me relever. Je passais ma capeline lorsque la voix de Montfort s’éleva.
    —    Où vas-tu ? demanda-t-il de sa couche.
    —    Dehors, j’ai besoin d’air.
    —    Je peux t’accompagner ? réclama-t-il, d’un ton geignard.
    J’avais souhaité être seul pour laisser l’air froid me fouetter les sangs et me remettre les idées en place. Mais je ne pouvais espérer garder la confiance du jeune Montfort si je le repoussais lorsqu’il avait besoin de compagnie. J’acceptai donc en tentant de masquer mon irritation.
    —    Si vous le souhaitez, sire.
    Il se leva, s’habilla et vint me rejoindre. Ensemble, nous sortîmes de l’étable. Le vent soufflait fort et traversait nos capelines, mais je n’en avais cure. Sans prononcer un mot, nous marchâmes côte à côte au hasard dans le village qui avait été le mien. À part le manoir, tout avait changé et c’était bien ainsi. J’y avais déjà trop de souvenirs. La tête basse, Guy observait le bout de ses pieds qui fendaient la neige épaisse sur le sol. Il n’en menait pas large et je savais pourquoi. L’épreuve cruelle imposée par Pierrepont au vu de tous l’avait profondément humilié. Cela semblait être l’histoire de sa vie.
    Nous errions depuis une quinzaine de minutes lorsque j’eus l’impression qu’un petit gémissement étouffé avait fendu le sifflement du vent.
    —    Vous avez entendu ? m’enquis-je, soudain alerté.
    —    Non, quoi ?
    La plainte monta de nouveau, plus pressante, suivie de rires gras. Elle venait de derrière une des maisons, sur notre gauche.
    —    Ça, dis-je.
    Je me maudis de ne pas avoir pris mon arme avant de sortir. À quelque chose malheur étant bon, grâce à ma main infirme, je n’étais toutefois jamais désarmé. J’étais par ailleurs dans un état tel que

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