L'Étreinte de Némésis
connais rien de la vraie beauté, de la vraie poésie – la
poésie dure, impitoyable, austère de Rome. Tu comprends encore moins la
politique. Tu penses que ce n’est pas honorable de vouloir venger la mort de
Lucius Licinius, un Romain tué par des esclaves. Eh bien, tu as tort. Il y a là
précisément une sorte de beauté impitoyable. Et moi j’en tirerai un avantage
politique, tant ici que sur le Forum, à Rome.
« Et
toi, Gordien, tu es arrivé juste à temps. Je n’avais certainement pas l’intention
de te placer dans ma loge privée, mais je vais te trouver une place. Pour ton
fils également. Eco est-il aussi souffrant ? Il vacille et j’ai cru voir
une lueur fiévreuse dans ses yeux. Et qui est cette autre personne… Un de tes
amis, Gordien ?
— L’esclave
Alexandros, dis-je. Comme tu dois déjà le savoir.
Alexandros
me chuchota quelques mots à l’oreille au milieu des roulements de tambour.
— C’est
lui ! J’en suis certain. J’avais vu son visage plus clairement que je ne
le pensais. Je le reconnais. C’est l’homme qui a tué le maître…
— Alexandros ?
dit Crassus, levant un sourcil. Il est plus grand que je ne l’imaginais… Mais
les Thraces sont grands. Il paraît assez fort pour fracasser le crâne d’un
homme avec une lourde statue. C’est un bon point pour toi, Gordien ! Tu as
eu raison de me l’amener directement, même au dernier moment. Je vais annoncer
sa capture et l’envoyer mourir avec les autres. A moins que je ne le garde pour
une crucifixion spéciale. Ce serait le clou du spectacle.
— Tue-le,
Crassus, et je hurle de toutes mes forces le nom de l’homme qui a réellement
assassiné Lucius Licinius !
Je
sortis le manteau taché de sang et le jetai à ses pieds.
Gelina
se trouva mal. Mummius pâlit et Fabius me regarda, inquiet. Orata jeta un œil
sur la cape. Metrobius se mordit les lèvres et posa un bras protecteur sur les
épaules de son amie.
Seul
Crassus restait impassible. Il hochait la tête comme s’il était un professeur
et moi son élève, incapable de comprendre la grammaire, malgré tous ses
efforts.
— La
nuit du meurtre, avant de s’enfuir pour sauver sa vie, Alexandros a tout vu,
expliquai-je. Tout ! Le cadavre de Lucius Licinius, le meurtrier
agenouillé à côté du corps, en train de graver le nom de Spartacus dans la
pierre pour détourner les soupçons, et finalement le visage du meurtrier. Cet
homme n’était pas un esclave. Oh ! non, Marcus Crassus, l’homme qui a
assassiné Lucius Licinius avait pour seule motivation une cupidité insatiable.
Il faisait du trafic d’armes avec Spartacus pour acquérir de l’or. Il a ensuite
empoisonné Dionysius quand celui-ci s’est trop approché de la vérité. Il m’a
fait tomber de l’embarcadère et a tenté de me noyer la nuit de mon arrivée à
Baia. Enfin, la nuit dernière, il a envoyé des assassins me tuer dans les bois.
Cet homme n’est pas un esclave… mais un citoyen romain, un citoyen romain
assassin. Et il n’y a aucune loi sur terre ou dans les cieux qui puisse
justifier le massacre d’esclaves innocents à cause des crimes qu’il a commis !
— Et
qui serait cet homme ? demanda Crassus doucement.
Il
repoussa du pied le manteau déformé et ensanglanté. Soudain il fronça le nez et
grimaça car il commençait à reconnaître le vêtement.
J’ouvris
la bouche pour parler, mais Alexandros fut plus prompt.
— Lui !
cria-t-il.
Et
il leva la main, pour tendre le doigt… mais pas en direction de Crassus.
Mummius
grommela. Gelina hurla. Orata fit une moue écœurée. Crassus serra les dents ;
on aurait dit que ses yeux lançaient des éclairs.
Tous
les regards s’étaient portés sur… Faustus Fabius. Il avait pâli et fait un pas
en arrière. Pendant un instant à peine, son masque imperturbable de patricien
disparut pour faire place à une expression de pur désespoir. Puis il se
ressaisit et fixa des yeux le doigt accusateur pointé vers lui.
À
côté de moi, Eco vacilla et s’écroula sur le tapis rouge.
6
Eco
avait perdu connaissance. Une fièvre brûlante le terrassait. Dès que je pus, je
le ramenai à la villa, où Iaia, anxieuse, attendait des nouvelles. Elle prit l’affaire
en main, insistant pour qu’Eco soit transporté dans sa chambre, où elle
pourrait veiller sur lui. Elle envoya Olympias à Cumes chercher des onguents et
des herbes. Eco avait un sommeil agité. Iaia introduisit entre ses lèvres ses
étranges
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