L'Étreinte de Némésis
étaient blottis les uns contre les autres au
milieu des flaques de sang. Certains étaient en haillons ; d’autres, les
derniers à avoir quitté la maison de Gelina, avaient encore une tunique de lin
blanc immaculée. Il y avait des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux.
Certains étaient immobiles comme des statues, tandis que d’autres tournaient en
rond, hagards. Chacun tenait à la main une grossière épée de bois. A quoi
pouvait ressembler le monde de l’endroit où ils se trouvaient ? Sous leurs
pieds, du sable souillé de sang ; autour d’eux, un grand mur, et des
visages pleins de haine qui les observaient.
J’aperçus
Apollonius parmi eux. Son bras droit entourait le vieil homme qu’il avait
réconforté dans l’annexe. Je scrutai le groupe en quête de Meto. En vain. Mon
cœur se serra. Pendant un instant je pensai qu’il avait pu s’échapper, d’une
manière ou d’une autre. Puis je le vis non loin d’Apollonius. Il courut vers
lui et s’accrocha à sa jambe.
— Que
signifie tout ceci ? demanda sèchement Crassus.
— Non,
Marcus Crassus ! hurlai-je en désignant l’arène. La vraie question est :
que signifie ceci ?
Crassus
me transperça d’un regard reptilien. Il me parla d’une voix calme.
— Quelle
allure tu as, Gordien ! Qu’en penses-tu, Gelina ? Comme si tu sortais
de la gueule d’Hadès. Tu t’es blessé à la tête, je vois. Sans doute en te la
frappant contre un mur. Et sur ta tunique, c’est du vomi ?
J’aurais
pu répondre, mais mon cœur battait trop vite dans ma poitrine. Et le sang
tambourina dans ma tête.
— Tu
me demandes quelle est la signification de ceci ? Je pense que tu veux
simplement savoir ce qui se passe maintenant, puisque tu arrives en retard. Eh
bien, les gladiateurs ont déjà combattu. Certains ont survécu. Certains sont
morts. Les mânes de Lucius sont satisfaites et la foule aussi. Maintenant les
esclaves viennent d’entrer dans l’arène. Et comme tu peux le voir, ils sont
armés, comme doit l’être l’armée de gueux qu’ils composent. Dans un instant, je
vais m’avancer vers cette petite plate-forme, derrière toi. Toute la foule
pourra me voir et m’entendre. Et alors j’annoncerai un divertissement
merveilleux, sublime, une manifestation publique de la justice romaine, une
expression vivante de la volonté divine.
« Les
esclaves de ma propriété de Baia ont été contaminés par les blasphèmes
séditieux de Spartacus et de sa clique. Ils se sont rendus complices du meurtre
de leur maître. Tout le prouve et tu as été incapable de me démontrer le
contraire. Ils sont désormais inutiles, sauf pour une chose : ils vont
servir d’exemple à d’autres. Dans la mise en scène que j’ai préparée, ils vont
représenter – ils vont être – ce que la foule craint et
méprise le plus : Spartacus et ses rebelles. C’est pour cela que je les ai
armés.
— Alors
pourquoi ne leur confies-tu pas des armes réelles ? m’indignai-je. Comme
les épées et les lances que nous avons trouvées près de l’abri à bateaux.
Crassus
pinça les lèvres, mais fit mine d’ignorer mon intervention.
— Quelques-uns
de mes soldats vont, eux, représenter la puissance et le prestige de Rome – toujours
vigilants et toujours vainqueurs sous le commandement de Marcus Licinius
Crassus. Mes soldats sont prêts. Dès la fin de mon allocution, ils entreront
par cette porte, là-bas, de l’autre côté de l’arène, au son des trompettes et
des roulements de tambour.
— C’est
une farce ! marmonnai-je. Totalement inutile et monstrueuse ! Un bain
de sang !
— Bien
sûr, un massacre !
La
voix de Crassus était devenue tranchante comme du silex.
— Comment
pourrait-il en être autrement quand les soldats de Crassus rencontrent une
bande d’esclaves rebelles ? C’est un avant-goût des batailles glorieuses
qui s’annoncent, dès que Rome m’aura accordé le commandement suprême de ses
légions et que je marcherai contre les rebelles.
— C’est
une honte ! murmura Mummius pâle comme un linge. Des soldats romains
contre des vieillards, des femmes, des enfants armés de jouets en bois. Il n’y
a là rien d’honorable, rien de glorieux ! Et les soldats ne sont pas
fiers, crois-moi, et moi non plus…
— Oui,
Mummius, je connais tes sentiments, repartit Crassus d’un ton aigre. Tu te
laisses aveugler par tes instincts charnels, par ton sentimentalisme grec
décadent. Tu ne
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