L'Étreinte de Némésis
touchai l’eau avec un grand « floc ». Je ne sais comment
je parvins à maintenir ma tête hors de l’eau et à rejoindre la jetée, même si l’inconnu
m’attendait, rame levée.
Je
tendis le bras vers l’un des poteaux d’amarrage. Mes doigts glissèrent sur la
mousse. La rame fouetta l’air pour venir frapper ma main. Je parvins
miraculeusement à l’attraper. Je tirai dessus, davantage pour m’extraire de l’eau
que pour y attirer l’autre. C’est pourtant ce qui arriva. Mon agresseur perdit
l’équilibre. Un instant plus tard, dans une grande éclaboussure, il me
rejoignait dans l’eau noire.
Il
s’approcha de moi et me donna un grand coup de coude à la poitrine. Puis il
parvint à atteindre la jetée. Je m’accrochai à son manteau, essayant
frénétiquement de prendre appui sur lui pour me hisser sur l’embarcadère. Nous
luttions. Nous nous battions comme des vauriens. Le sel me piquait les yeux. J’avalais
de l’eau salée. La gorge me brûlait. Je le frappais aveuglément de mes poings.
Je
pense qu’il comprit que, si nous nous battions, ce serait notre mort à tous les
deux. Alors il rompit le combat et s’éloigna de la jetée. Il nagea vers le
rivage couvert de broussaille au-delà de l’abri. Je m’agrippai à un poteau d’amarrage
et le regardai s’éloigner comme un monstre marin pesant, alourdi par son
vêtement trempé. Sa tête encapuchonnée apparaissait et disparaissait,
apparaissait et disparaissait encore. Quand il fut suffisamment loin, je me
hissai sur la jetée. Là je m’allongeai un instant pour reprendre ma
respiration. Il disparut dans les ténèbres derrière la cabane. Je l’entendis
sortir de l’eau, glisser et patauger. Puis il traversa les broussailles.
De
nouveau, tout fut silencieux. Je me relevai et me tâtai le front. La douleur,
cuisante, m’arracha un gémissement. Mais je ne sentis pas de sang. Je fis un
pas en vacillant. Si mes jambes tremblaient, ma tête était claire.
Jamais
je n’aurais dû descendre seul et sans armes. J’aurais dû emmener Eco avec moi,
et prendre une lampe et un bon coutelas aiguisé. Il était trop tard pour
regretter. En me penchant, je récupérai la rame dans l’eau. Au besoin, elle me
servirait d’arme. Puis je me hâtai vers le sentier. Le chemin du retour était
dur et raide. Mais je courus jusqu’en haut, inspectant des yeux la moindre zone
obscure et balançant la rame en direction de l’assassin invisible qui aurait pu
s’y tapir. Enfin le sentier redevint marches, les marches redevinrent rampe, et
je fus de retour sur la terrasse. Là seulement je me sentis en sécurité. Je m’arrêtai
un long moment pour reprendre ma respiration. Je sentis le froid commencer à
traverser ma tunique mouillée. Je traversai rapidement la maison enténébrée,
tremblant et toujours armé de la rame. Et je finis par retrouver la porte de ma
chambre.
J’y
pénétrai et refermai derrière moi. Eco ronflait paisiblement. Je tendis la main
pour toucher les cheveux qui barraient son front. Je ressentis soudain à son
endroit un grand élan de tendresse et un besoin impérieux de le protéger. Mais
de qui ? de quoi ? Par-dessus tout, j’avais froid et j’étais trempé.
Ma fatigue était telle que je ne pouvais quasiment pas faire un pas de plus ni
même penser. J’enlevai ma tunique mouillée et m’essuyai tant bien que mal avec
une couverture. Puis je tirai le dessus-de-lit et me laissai tomber sur le dos,
pressé de dormir.
Quelque
chose de dur et d’acéré se planta dans mon dos. Je bondis sur mes pieds. Les
surprises de la nuit n’étaient pas terminées. En regardant le sommier, je ne
pus voir qu’une forme sombre. Je sortis nu de la chambre pour aller chercher
une lampe dans le couloir. A la lueur blafarde, j’étudiai la chose qu’un
inconnu avait déposée dans mon lit. C’était une figurine, grande comme la main,
taillée dans une pierre noire poreuse : une créature grotesque, au visage
hideux. En guise d’yeux, de petits tessons de verre rouge étincelaient dans la
lumière. C’était son nez pointu, en forme de bec, qui m’avait blessé le dos.
— As-tu
déjà vu quelque chose de plus hideux ? murmurai-je.
Eco
fit un bruit de gorge et se tourna vers le mur. Il avait l’air profondément
endormi. Comme Gelina, même une farandole de danseuses avec cymbales n’aurait
pu le réveiller. Ne sachant qu’en faire et trop fatigué pour y songer
sérieusement, je posai le monstre sur le
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