L'Étreinte de Némésis
portant sur les épaules un
agneau bêlant. L’animal ne venait pas d’une ferme, c’était un animal élevé dans
le temple, engraissé pour le sacrifice rituel ; sa toison était propre et
soigneusement brossée. L’enfant déposa l’agneau sur un petit autel, devant la
statue d’Apollon. Il bêla de plus belle au contact du marbre froid. Le garçon
le calma en le caressant et en lui chuchotant quelques mots à l’oreille, alors
qu’il lui liait les pattes.
Il
repartit en courant et réapparut bientôt avec un long poignard en argent. Le
manche était incrusté de lapis-lazuli et de grenats. La prêtresse prit l’arme
sacrificielle et vint se placer au-dessus de l’agneau, en nous tournant le dos.
Elle leva le poignard et se mit à marmonner des incantations.
La
prêtresse était habile, et possédait plus de force que je ne l’imaginais. Sans
doute la lame avait-elle frappé le cœur, tuant instantanément l’agneau. Je vis
quelques convulsions, un peu de sang gicler, mais pas un cri, pas le moindre
gémissement alors qu’il offrait sa vie au dieu. Les esclaves de Gelina
mourraient-ils aussi facilement ?
La
prêtresse ouvrit le ventre de l’animal. Elle fouilla ses entrailles. Je compris
alors pourquoi ses manches étaient imprégnées de sang. Elle chercha encore un
moment, puis trouva ce qu’elle voulait. Elle se retourna vers nous, tenant le
cœur encore palpitant de l’animal et une partie des entrailles. Elle se dirigea
vers le bas-côté du temple. Nous la suivîmes. Un brasero rudimentaire était
taillé dans la paroi de pierre. L’enfant avait déjà allumé le feu.
La
prêtresse jeta les organes sur la pierre brûlante. La chair grésilla. Les
volutes de vapeur montèrent en tourbillons puis furent aspirées dans les
fissures entre les pierres. Avec un bâton, la prêtresse remua les entrailles. L’odeur
de chair grillée me rappela que nous n’avions pas déjeuné. Mon estomac
gargouilla. La sibylle jeta quelque chose sur la pierre chauffée. Un parfum
étrange, semblable à celui du chanvre qui brûle, emplit l’air. Je ressentis des
vertiges. Près de moi, Eco vacillait, je tendis le bras pour le retenir. Mais
quand je lui attrapai l’épaule, il me regarda si curieusement que j’eus l’impression
que c’était moi seul qui avais chancelé. Du coin de l’œil, je vis quelque chose
qui bougeait et tournai les yeux vers le grand mur de pierre qui se dressait
devant nous. Des visages avaient commencé à apparaître au milieu des fissures
et des ombres.
De
telles apparitions ne sont pas exceptionnelles dans les sanctuaires. J’en avais
déjà vu. Mais lorsque le monde invisible commence à se manifester, on éprouve
toujours un soudain et violent sentiment de terreur et de doute.
Même
si je ne pouvais discerner son visage, je savais que la prêtresse me regardait.
Elle vit que j’étais prêt. Nous la suivîmes de nouveau. Elle nous entraîna sur
un sentier pierreux au flanc de la colline. Puis elle descendit dans un ravin
sombre. De plus en plus sombre et de plus en plus profond. Le trajet semblait
interminable. Le sentier était si difficile à suivre que je dus m’asseoir à
plusieurs reprises et m’aider des pieds et des mains. Derrière moi, Eco faisait
de même. La prêtresse, en revanche, parvenait à rester debout, avançant à pas
parfaitement réguliers.
Nous
parvînmes devant l’ouverture d’une grotte. Lorsque nous pénétrâmes à l’intérieur,
un vent humide et froid nous fouetta le visage. Il apportait une étrange
senteur, comme la fragrance de fleurs fanées. Je levai les yeux. La grotte n’était
pas un tunnel, mais une salle aérée, haute, fissurée de tous côtés. Ces
ouvertures laissaient filtrer une lueur crépusculaire. En s’y engouffrant, le
vent faisait naître une cacophonie permanente. Parfois c’était presque de la
musique ; à d’autres moments, on aurait dit des gémissements. De temps en
temps, j’entendais les accents fugitifs de la flûte d’un satyre, la voix forte
d’un acteur célèbre, ou encore le soupir que Bethesda pousse le matin avant son
réveil.
La
prêtresse nous fit descendre encore plus profondément dans la grotte, jusqu’à
un endroit où les murs se rapprochaient. Elle leva son bras pour que nous nous
arrêtions. Dans la pénombre, sa robe rouge sang était devenue noire comme du
jais. Elle s’avança vers une saillie rocheuse qui ressemblait à une scène. Un
moment, je pensai qu’elle s’était
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