L'Étreinte de Némésis
instants seulement
après nous. Mais peut-être était-ce nous qu’il suivait, et pas Olympias. Dans
ce cas, nous lui avons faussé compagnie.
L’explication
ne satisfaisait pas Eco. Il croisa les bras et grommela.
— Non,
dis-je fermement. Nous n’allons pas les suivre. Et toi, tu n’iras pas non plus
tout seul. En ce moment, Olympias est probablement déjà dans Cumes. En outre,
je doute qu’une jeune femme forte et intelligente comme elle ait besoin de
protection face à un vieux barbu comme Dionysius.
Eco
fronça les sourcils et donna un coup de pied dans une pierre. Les bras toujours
croisés, il commença à retourner vers le rocher, comme s’il voulait le gravir
de nouveau. Soudain il se figea et se retourna… comme moi.
La
voix était déconcertante, bourrue, rauque, on avait peine à l’identifier comme
une voix de femme. L’apparition portait un grand manteau rouge sang à capuche.
Elle se tenait les mains jointes sous son vêtement, si bien qu’aucune partie du
corps n’était visible. La voix surgissait de l’ombre noire, de sous la capuche,
pareille au gémissement d’un fantôme sorti de la gueule d’Hadès.
— Reviens,
jeune homme ! La fille est en sécurité. Vous, en revanche, vous êtes des
intrus ici. Vous courez donc un danger permanent tant que le dieu n’aura pas vu
vos visages nus. Alors seulement, il décidera de vous frapper de sa foudre ou d’ouvrir
vos oreilles à la voix de la sibylle. Rassemblez votre courage, vous deux, et
suivez-moi. Tout de suite !
6
Il y a très longtemps
régnait sur Rome Tarquin le Superbe [40] Un jour, une prophétesse quitta son antre à Cumes
pour aller le voir à Rome. Elle lui proposa neuf livres de savoir occulte. Ces
livres étaient constitués de feuilles de palmier. Ils n’étaient pas reliés
comme un manuscrit, pour que les pages puissent être remises dans l’ordre que l’on
voulait. Tarquin trouva cela très étrange. Les textes étaient écrits en grec,
pas en latin, pourtant la prophétesse prétendait que ces livres prédisaient l’avenir
de Rome. Ceux qui les étudieraient, dit-elle, comprendraient tous les
phénomènes étranges par lesquels les dieux font connaître leur volonté à la
Terre : par exemple, quand des oies sauvages volent vers le nord en hiver,
ou quand l’eau s’enflamme, ou encore quand des coqs chantent à midi.
Tarquin considéra son
offre, mais estima qu’elle réclamait trop d’or. Il la congédia, en disant que le
roi Numa [41] , cent ans plus tôt, avait établi le clergé, les
cultes et les rites des Romains, et que grâce à eux on avait toujours déchiffré
la volonté des dieux.
Cette
nuit-là, trois boules de feu furent aperçues, tournoyant au-dessus de l’horizon.
Le peuple prit peur. Alors Tarquin convoqua immédiatement les prêtres pour qu’ils
expliquent le phénomène. Hélas, à leur grand regret, ils ne trouvèrent aucune
explication.
Le
lendemain, la prophétesse revint voir Tarquin. Cette fois, elle dit qu’elle n’avait
plus que six livres de savoir à vendre. Mais elle réclamait le même prix que la
veille. Tarquin voulut savoir ce qu’il était advenu des trois autres livres.
Elle répondit qu’elle les avait brûlés pendant la nuit. Comme elle réclamait
pour six livres ce qu’il avait refusé de payer pour neuf, le roi, se sentant
insulté, la renvoya de nouveau.
Cette
fois, pendant la nuit, trois colonnes de fumée s’élevèrent au-dessus de l’horizon.
Soufflées par le vent et éclairées par la lune, elles montaient en spirale et
prenaient des formes grotesques de mauvais augure. De nouveau le peuple s’alarma.
On prit ce signe comme la manifestation d’un dieu en colère. Alors, de nouveau
Tarquin convoqua les prêtres. Et, une nouvelle fois, ceux-ci durent avouer leur
impuissance.
Le
lendemain, la prophétesse rendit une troisième visite au roi. Elle avait,
dit-elle, brûlé trois autres livres pendant la nuit. Elle ne proposait donc
plus que les trois derniers. Et, naturellement, toujours pour le même prix,
celui qu’elle avait réclamé pour les neuf livres. Bien qu’il fut couronné,
Tarquin paya à la femme la somme demandée.
C’est
ainsi, parce que Tarquin avait hésité, que les Livres sibyllins ne nous sont
parvenus que sous forme fragmentaire. L’avenir de Rome ne peut être lu et
déchiffré qu’imparfaitement. La réputation de sagesse de la sibylle de Cumes
devint légendaire. Elle frit respectée non seulement parce
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