L'Étreinte de Némésis
Cumes. Mais le
temple d’or n’est qu’une légende. Ou alors la Terre l’a englouti depuis
longtemps. Cela arrive parfois. La Terre s’entrouvre et dévore des maisons
entières. Aujourd’hui, en tout cas, le temple est un lieu caché dans les
rochers, près de l’antre de la sibylle [39] . Mais ne t’inquiète pas : la prêtresse viendra.
As-tu apporté un présent d’or ou d’argent ?
— J’ai
quelques pièces.
— Ça
suffira. Maintenant adieu.
Elle
tira impatiemment sur les rênes de son cheval.
— Mais
attends ! Comment allons-nous te retrouver ?
— Pour
quoi faire ?
Je
sentis une intonation déplaisante dans sa voix.
— Je
vous ai amenés ici, comme tu me l’avais demandé. Ne peux-tu retrouver ton
chemin tout seul ?
Je
contemplai l’enchevêtrement de rochers. Le brouillard descendait en
tourbillonnant au-dessus de nos têtes. Un petit vent gémissait entre les
pierres.
— Très
bien, dit-elle. Quand la sibylle en aura fini avec toi, chevauche sur une
courte distance en direction de la mer. Au sommet d’une colline herbeuse, vous
arriverez à Cumes. La maison de Iaia est au bout du village. L’un des esclaves
vous laissera entrer, si…
Elle
hésita.
— …
si je ne suis pas là. Attendez-moi.
— Mais
où pourrais-tu être ?
Elle
s’éloigna sans répondre et disparut rapidement au milieu des rochers.
— Quelle
affaire vitale l’amène à Cumes tous les jours ? me demandai-je. Et
pourquoi est-elle si pressée de nous quitter ? Eh bien, Eco, que penses-tu
de cet endroit ?
Eco
frissonna… mais pas de froid.
J’observai
à nouveau le labyrinthe de roches tout autour. Les gémissements du vent
redoublèrent. Il sifflait en s’engouffrant dans les trous des rochers. Où que l’on
regardât, on ne pouvait voir à plus de quelques pieds, à cause de ces pierres.
Toute une armée pouvait être tapie là, invisible ; un assassin derrière
chaque rocher. L’écorce d’une branche tordue était usée sur une petite
longueur, indiquant l’endroit où de nombreux cavaliers avant nous avaient
attaché leurs chevaux. Tandis que j’attachais les rênes à l’arbre, je sentis
Eco me tirer la manche.
Je
m’arrêtai net. Sortie de nulle part aurait-on dit, une silhouette à cheval
passait entre deux rochers proches. Elle empruntait la même route qu’Olympias
quelques instants plus tôt. Le brouillard de plus en plus dense étouffait
complètement le bruit des sabots. Pareil à un fantôme silencieux, le
personnage, revêtu d’un long manteau à capuchon, ne fut visible qu’un instant.
Puis il disparut.
— Qu’en
dis-tu ? murmurai-je.
Eco
sauta sur le rocher le plus haut et grimpa jusqu’à son sommet, en s’aidant de
toutes les prises et cavités qu’il trouva. Je le vis scruter les alentours
immédiats. Un instant, son visage s’illumina, puis il s’assombrit de nouveau.
Il me fît un signe sans quitter des yeux l’enchevêtrement des roches. Après
avoir pincé son menton entre l’index et le pouce droits, il les baissa pour
esquisser la pointe d’un triangle.
— Une
longue barbe ? demandai-je.
Eco
acquiesça.
— Tu
veux dire que le cavalier est Dionysius, le philosophe ?
Il
acquiesça de nouveau.
— Comme
c’est étrange ! Tu le vois encore ?
Eco
secoua la tête. Puis son visage s’illumina de nouveau. Avec le doigt, il mima
le vol d’une flèche, formant un arc ascendant puis descendant : il voulait
indiquer quelque chose qui se trouvait beaucoup plus loin. Il fit un signe pour
évoquer les cheveux d’Olympias.
— Tu
vois la fille ?
Il
fit oui de la tête, puis non lorsqu’elle disparut.
— Et
le philosophe ? Tu as l’impression qu’il la suit ?
Eco
regarda quelque temps encore, avant de baisser les yeux vers moi et de hocher
la tête en signe d’acquiescement. Son visage reflétait une grave inquiétude.
— Comme
c’est étrange ! Vraiment très étrange. Si tu ne vois plus rien,
redescends.
Eco
continua de scruter le vide. Puis il s’assit sur le rocher et sauta par terre
avec un grognement. Il se précipita vers les chevaux et indiqua les rênes.
— Tu
veux galoper après eux ? Ne sois pas ridicule. Il n’y a aucune raison d’imaginer
que Dionysius lui veuille le moindre mal. Après tout, il ne la suit peut-être
pas du tout.
Les
mains sur les hanches, Eco me toisa comme si j’étais un enfant stupide.
— Oui,
c’est curieux qu’il ait pris ce même chemin obscur, quelques
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