L'Étreinte de Némésis
qu’elle était une
grande prophétesse, mais parce qu’elle s’était montrée habile en affaires, en
vendant trois livres pour le prix de neuf.
Les
Livres sibyllins furent élevés au rang d’objets de très grande vénération. Ils
ont survécu à la royauté romaine pour devenir la propriété la plus sacrée du
peuple romain. Le Sénat décréta qu’ils seraient conservés dans un coffre de
pierre, dans le profond souterrain du temple de Jupiter, sur la colline du
Capitole, au-dessus du Forum. Les Livres étaient consultés dans les périodes de
grandes calamités ou lorsque les présages semblaient inexplicables. Les prêtres
chargés d’étudier les Livres devaient, sous peine de mort, garder leur contenu
secret. Ils n’avaient même pas le droit de le révéler au Sénat. Cependant, on
finit par apprendre un curieux fait concernant les strophes des Livres. Elles
étaient écrites en acrostiches : lues verticalement, les initiales de
chaque vers donnaient le sens de la strophe. Une telle habileté, susceptible d’échapper
à un mortel, était certainement un jeu d’enfant pour la volonté divine.
Ainsi
les Livres demeurèrent toujours très mystérieux. C’est pour cela que très peu
de personnes savent exactement ce qui a été perdu, lorsque, il y a dix ans,
dans les dernières convulsions de la guerre civile, un grand feu dévasta le
Capitole. Le temple de Jupiter fut ravagé. Les flammes parvinrent à pénétrer
dans le coffre de pierre et à réduire les Livres sibyllins en cendres. Sylla a
rendu ses ennemis responsables du feu ; ses ennemis ont accusé Sylla. Dans
un cas comme dans l’autre, les trois ans de règne du dictateur ne commençaient
pas sous un jour favorable. Sans les Livres sibyllins, Rome avait-elle un
avenir ?
Dans
la baie de Naples, la sibylle est encore vénérée, surtout par les habitants des
vieilles cités grecques, où l’on préfère la chlamyde à la toge et où l’on parle
plus souvent grec que latin, non seulement sur les marchés, mais dans les
temples et les tribunaux.
On
lui apporte des présents, du bétail et des pièces de monnaie. Mais l’élite
romaine en vue, qui habite les grandes villas du bord de mer, ne s’intéresse
pas à elle. Les riches Romains préfèrent rechercher la sagesse auprès des
philosophes en villégiature et accorder leurs dons aux temples respectables de
Jupiter et de Fortune dans les forums de Pouzzoles, de Naples et de Pompéi.
La
prêtresse marchait devant nous avec un sens de l’équilibre parfait. Jamais son
pied ne trébuchait, alors que moi et Eco, nous ne cessions de glisser,
projetant des graviers au bas de la colline tout en essayant de nous rattraper
aux branches.
L’emplacement
du temple d’Apollon attaché au sanctuaire de la sibylle était protégé du vent.
Un silence paisible régnait. Au-dessus de nos têtes, le brouillard tentait de
recouvrir le sommet de la colline.
Une
fois dans le temple, la prêtresse se retourna vers nous. Sous sa capuche, ses
traits demeuraient dans l’ombre. Sa voix émergea, aussi étrange qu’auparavant.
— Manifestement,
dit-elle, vous n’avez pas amené de vache.
— Non.
— Ni
de mouton ou de chèvre.
— Non.
— Seulement
vos chevaux, qu’on ne peut sacrifier au dieu. Avez-vous de l’argent, afin d’acheter
une bête pour le sacrifice ?
— Oui.
Elle
demanda une somme qui ne me parut pas exagérée. La sibylle de Cumes n’était
apparemment plus la redoutable négociatrice qu’elle avait été. Je tirai l’argent
de ma bourse en me demandant si Crassus accepterait que la dépense soit incluse
dans mes frais.
Elle
tendit la main droite pour prendre les pièces. C’était la main d’une vieille
femme couverte de taches de vieillesse. Je m’y attendais. Ni bagues ou anneaux
à ses doigts, ni bracelet au poignet. Cependant, je notai une trace de peinture
bleu-vert sur son pouce. Une couleur que Iaia aurait fort bien pu utiliser le
matin même pour retoucher sa fresque.
Vit-elle
la tache de peinture ? Que ce soit pour cette raison ou par goût du lucre,
elle s’empara des pièces et rentra prestement la main dans sa manche. Je
remarquai aussi que l’ourlet de ses manches était d’un rouge plus sombre que le
reste du vêtement.
C’était
du sang !
— Damon !
appela-t-elle. Apporte un agneau !
Soudain,
un petit garçon surgit. Il passa la tête entre deux colonnes puis disparut
aussitôt. Quelques instants plus tard, il revint
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