L'Étreinte de Némésis
bras. La porte se referma
derrière nous.
— Cognez
contre la porte et appelez quand vous serez prêts à sortir ! cria le garde
à travers la cloison.
La
chaîne cliqueta et le cadenas se referma dans un claquement.
Mes
yeux mirent quelques instants à s’habituer à la pénombre. Par les rares
fenêtres à barreaux, en haut des murs, passaient des rayons de soleil chargés
de poussière.
— Où
sommes-nous ? murmurai-je.
Je
n’attendais pas de réponse, mais le petit Meto m’avait entendu.
— Le
maître utilisait cette pièce pour stocker toutes sortes de choses, me dit-il à
voix basse. Des mors et des selles hors d’usage, des couvertures, des roues de
charrette cassées. Quelquefois même des lances, des glaives, et aussi des
boucliers et des casques. Mais quand maître Lucius est mort, c’était presque
vide. Et quand maître Crassus est arrivé le lendemain, c’est là qu’il a fait
mettre presque tous les esclaves.
Quand
nous entrâmes le silence se fit. Mais maintenant, des voix commençaient à
murmurer dans l’obscurité.
— Meto !
s’exclama une vieille femme. Meto, viens ici que je te serre dans mes bras.
Mes
yeux s’habituaient à l’obscurité, je pus voir la femme qui l’embrassait. Elle
était assise sur le sol recouvert de paille. Ses cheveux blancs étaient noués
en chignon ; ses longues mains pâles tremblaient. Elle caressa la tête de
l’enfant. Partout où je regardais, je voyais des hommes, des femmes, des
enfants, tous les esclaves retirés des champs ou déchargés des tâches qui n’étaient
pas indispensables. Ils avaient été enfermés là dans l’attente du jugement de
Crassus.
Ils
étaient assis contre les murs. Je passai entre eux, parcourant la pièce
étroite, toute en longueur. Eco me suivit, les yeux écarquillés, fixant un
visage après l’autre et trébuchant sur le sol inégal. L’odeur d’urine et d’excréments
était plus forte encore au fond de la salle. Je me couvris le visage avec un
pli de ma toge. Je pouvais à peine respirer.
On
tira sur ma toge. Meto leva les yeux vers moi.
— Le
meilleur nageur qui ait jamais existé, m’assura-t-il dans un murmure.
Il
ne nous servira à rien s’il est enfermé ici, pensai-je. J’aperçus le jeune
homme que désignait Meto. A genoux sur la paille, il tenait les mains d’un
vieillard et parlait à voix basse. La lumière pâle donnait à son visage le poli
du marbre. Ainsi ressemblait-il à une statue vivante.
— Apollonius !
Pourquoi es-tu ici ? demandai-je, pensant que Crassus l’avait peut-être
chassé de la maison simplement pour contrarier Mummius.
Mais
son explication fut beaucoup plus simple.
— La
plupart des esclaves sont enfermés ici depuis la mort du maître. Quelques-uns
ont pu rester à leur poste et dorment dans le quartier ordinaire des esclaves,
entre les écuries et la maison. Mais, comme Meto, je viens ici aussi souvent
que possible, pour voir les autres. Les gardes me connaissent maintenant et me
laissent passer.
— C’est
ton père ? dis-je en désignant le vieil homme.
Apollonius
sourit, mais ses yeux étaient tristes.
— Je
n’ai jamais eu de père. Soterus connaît les plantes. Il soulage les autres
esclaves quand ils sont malades ; mais aujourd’hui, c’est lui qui est
malade. Il crève de soif, mais ne peut pas boire car ses intestins sont
dérangés. Regarde, je pense qu’il s’est endormi. Un jour, j’ai attrapé une très
forte fièvre. Il m’a veillé nuit et jour. Il m’a sauvé la vie cet été. Et tout
ça sans rien demander.
Sa
voix était dépourvue d’amertume, et même d’émotion ; elle ressemblait,
détachée et mystérieuse, à celle de son homonyme, le dieu Apollon.
— Sais-tu
nager ?
Le
visage d’Apollonius s’illumina d’un beau sourire.
— Comme
un dauphin.
Pour
rejoindre l’abri à bateaux, un autre sentier partait juste en dessous de l’annexe.
Il sillonnait le flanc raide de la colline, en passant sous l’aile sud et les
bains. Le sentier était presque invisible de la maison car il était dissimulé
par la haute végétation et l’angle de la pente. Il était encore plus escarpé
que celui qui descendait de la terrasse de l’aile nord. Mais il avait été
davantage piétiné et, la plupart du temps, était assez large pour que l’on
avance à deux de front. Le petit Meto marchait en tête, enjambant les racines
des arbres et dévalant les rochers. Eco et moi descendions avec
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