Lettres - Tome I
votre cause, pour que vous puissiez, vous, plaider celle dont vous êtes chargé, quand il vous plaira. Évidemment vous êtes dans une situation différente de celle où je me trouvais. Les affaires jugées par les centumvirs ne souffrent point de remise, la vôtre, quoique difficilement, l’admet. Adieu.
XIX. – C. PLINE SALUE SON CHER ROMATIUS FIRMUS.
Le don de 300.000 sesterces.
Compatriotes et condisciples, nous avons, depuis notre jeunesse, vécu dans une étroite intimité. Votre père était lié d’une vive amitié avec ma mère, avec mon oncle, avec moi-même, autant que le permettait la différence de nos âges. Que de motifs forts et pressants de m’intéresser à votre élévation et d’y concourir ! Il est bien évident que vous possédez cent mille sesterces de revenu {33} , puisque vous êtes décurion dans notre province. Eh bien, pour avoir le plaisir de vous voir, non plus seulement décurion, mais chevalier romain, je vous offre, afin de compléter la fortune exigée par cet ordre, trois cent mille sesterces. Votre reconnaissance m’est garantie par notre vieille amitié. Je n’y joins pas même la recommandation, que je devrais y joindre, si je n’étais sûr que vous la suivrez de vous-même, d’user de cette dignité reçue de moi avec la plus grande discrétion, parce que vous l’aurez reçue de moi. Il faut respecter avec plus de soin une dignité, quand on doit justifier le bienfait d’un ami. Adieu.
XX. – C. PLINE SALUE SON CHER TACITE.
L’amplification oratoire.
J’ai de fréquentes discussions avec un homme savant et expérimenté, qui dans l’éloquence du barreau, n’estime rien tant que la concision. J’avoue qu’elle est à observer, quand la cause le permet ; sinon, ce serait de la prévarication que d’omettre ce qu’il est utile de dire ; de la prévarication encore, que d’effleurer brièvement et comme en courant ce qu’on doit imprimer, enfoncer, répéter. La plupart des causes gagnent par un développement un peu long de la force et du poids ; pour que la parole pénètre dans l’esprit, comme le fer dans un corps, il ne suffit pas de frapper, il faut appuyer.
Alors notre homme m’objecte des autorités : il étale à mes yeux, chez les Grecs, les discours de Lysias ; chez nous ceux des Gracques, et de Caton, dont la plupart en effet sont concis et brefs. À Lysias, moi, j’oppose Démosthène, Eschine, Hypéride, et beaucoup d’autres. Aux Gracques et à Caton, j’oppose Pollion, César, Caelius et surtout Cicéron, dont le plus long discours passe pour le meilleur. Vraiment il en est d’un bon livre, comme d’autres bonnes choses, plus il est long, meilleur il est. Voyez les statues d’hommes ou de dieux, les tableaux, les représentations enfin d’hommes, d’animaux, d’arbres même ; à condition que ces figures soient belles, rien ne les relève plus que leur ampleur. Il en est de même pour les discours : même les volumes acquièrent par leurs grandes dimensions je ne sais quoi de plus important et de plus beau.
À ces arguments et à beaucoup d’autres, que j’emploie d’ordinaire, pour soutenir mon opinion, mon adversaire, homme insaisissable et glissant dans la discussion, échappe, en prétendant que les discours mêmes, sur lesquels je m’appuie, furent prononcés plus courts qu’ils n’ont été publiés. C’est le contraire, je crois ; ainsi qu’en témoignent une foule de discours d’orateurs divers et en particulier ceux de Cicéron pour Murena, pour Varenus ; l’orateur se contente d’indiquer dans un bref et simple sommaire quelques chefs d’accusation ; il en ressort qu’en parlant il s’est étendu sur bien des développements qu’il a supprimés en publiant. Il dit aussi que pour Cluentius, il a, selon l’ancien usage, entièrement plaidé seul cette longue cause, et que pour C. Cornelius il parla pendant quatre audiences {34} . Il montre ainsi clairement que la plaidoirie, qu’il a largement développée, comme la cause l’exigeait, pendant plusieurs jours, a été après, taillée, émondée, réduite aux étroites proportions d’un seul livre, considérable sans doute, mais enfin d’un seul. On dira qu’un bon plaidoyer est une chose, un bon discours écrit une autre. C’est l’opinion de quelques-uns, je le sais. La mienne (peut-être suis-je dans l’erreur) est qu’un bon plaidoyer peut n’être pas un bon discours une fois écrit, mais qu’un mauvais
Weitere Kostenlose Bücher