Lettres - Tome I
témoin, avec quelle patience il supporte cette maladie même, comment il triomphe de la douleur, comment il résiste à la soif, comment sans bouger dans son lit et sans se découvrir, il endure les accès d’une fièvre incroyable. Dernièrement il me fit appeler avec quelques-uns de ses plus intimes amis, et nous pria de demander aux médecins ce qu’ils pensaient de l’issue de sa maladie, pour se résoudre à quitter la vie volontairement, si son mal était incurable, ou à le supporter et attendre la guérison, s’il n’était que long et pénible : il devait, disait-il accorder aux prières de sa femme, accorder aux larmes de sa fille et à nous-mêmes, ses amis, de ne pas trahir nos espérances, pourvu qu’elles ne fussent pas vaines, par une mort volontaire. Rien de plus difficile, à mon gré, rien de plus digne d’éloges. Car courir au-devant de la mort d’un mouvement irraisonné et instinctif est le fait de beaucoup de gens, mais examiner et peser les motifs de sa décision, et n’obéir qu’à la raison pour prendre ou quitter la résolution de vivre ou de mourir, n’est le partage que des grandes âmes.
Sans doute les médecins nous promettent un dénouement favorable, souhaitons que les dieux confirment leurs promesses et me délivrent enfin de cette cruelle inquiétude ; quand j’en serai soulagé, je regagnerai ma villa des Laurentes, c’est-à-dire mes livres, mes tablettes, et mes loisirs studieux. Pour le moment je n’ai ni le temps, ni le goût de lire ou d’écrire passant mes jours soit auprès de mon ami, soit dans l’anxiété. Vous voilà informé de mes alarmes, de mes vœux, et même de mes projets pour l’avenir. Apprenez-moi, à votre tour, mais par des lettres plus gaies, ce que vous avez fait, ce que vous faites, ce que vous vous proposez de faire. Ce ne sera pas un faible soulagement à mon cœur troublé, de savoir que vous n’avez aucun sujet de plainte. Adieu.
XXIII. – C. PLINE SALUE SON CHER POMPEIUS FALCO.
Incompatibilité des fonctions d’avocat avec celles de tribun.
Vous me demandez si je suis d’avis que vous plaidiez pendant votre tribunat. Le plus important est de savoir quelle idée vous vous faites de cette dignité. La considérez-vous comme une ombre vaine, et un titre sans réalité, ou comme un pouvoir sacré, qu’il ne convient à personne, pas même à son titulaire, de rabaisser ? Pour moi, quand j’ai été tribun, j’ai peut-être eu tort de me croire un personnage ; mais pensant que j’en étais un, je me suis abstenu de plaider ; d’abord parce que j’estimais messéant que celui, devant qui tous devaient se lever, à qui chacun devait céder la place, se tînt debout lui-même, quand tout le monde était assis ; que celui qui pouvait ordonner le silence à tous, se le vît imposer par la clepsydre ; que celui qu’il est impie d’interrompre, fût exposé à s’entendre dire même des injures, et, s’il les souffrait sans les punir, à passer pour incapable, s’il les punissait, pour fier. Je voyais aussi mon embarras, si mon client ou son adversaire réclamait ma protection : serais-je intervenu et aurais-je apporté mon appui ? ou bien serais-je demeuré immobile et muet, et me serais-je réduit, comme si j’étais sorti de charge, au rôle de simple particulier ? Par ces motifs, j’ai mieux aimé me montrer tribun pour tous, qu’avocat pour quelques-uns. Quant à vous, je le répète, l’essentiel est de savoir quelle idée vous vous faites du tribunat, et quel rôle vous voulez y assumer ; un homme sage doit le choisir tel qu’il puisse le soutenir jusqu’au bout. Adieu.
XXIV. – C. PLINE SALUE SON CHER BEBIUS HISPANUS.
La villa d’un homme de lettres.
Tranquillus {37} , mon ami intime veut acheter un petit domaine, que cherche à vendre, dit-on, un des vôtres.
Faites en sorte, je vous prie, qu’il le paie un prix raisonnable. C’est la condition pour qu’il soit content de son achat ; car un mauvais marché est toujours déplaisant, surtout parce qu’il semble accuser son auteur de sottise.
Dans cette propriété, si du moins le prix lui sourit, bien des avantages excitent l’envie de mon cher Tranquillus : la proximité de la ville, la commodité de la route, les modestes proportions de la maison, la modique étendue des terres, plus capable de distraire que d’occuper.
Pour des propriétaires gens de lettres comme celui-ci, il suffit largement d’avoir assez de
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