Lettres - Tome I
plus raffiné, mais d’un talent plus riche. Et en disant cela, je ne veux pas approuver « ce bavard sans mesure » dont parle Homère, mais plutôt celui-ci :
Et ses paroles volaient semblables aux flocons de neige de l’hiver.
Ce n’est pas que cet autre aussi ne me plaise vivement :
Peu de paroles mais d’une harmonie divine.
Mais si l’on me donne le choix, je préfère cette éloquence semblable aux flocons de la neige hivernale, c’est-à-dire drue, continue et abondante, en un mot, divine et céleste.
Pourtant, dira-t-on, la plupart aiment mieux un plaidoyer court. Oui, les paresseux, dont il serait plaisant de prendre la délicatesse et l’indolence comme règle du goût. Car, si vous les consultez, le mieux est non seulement de parler peu, mais même de ne pas parler du tout {35} .
Voilà jusqu’à présent mon avis : j’en changerai, si vous ne le partagez pas ; mais si vous ne le partagez pas, développez-m’en clairement les motifs, je vous prie. Quelque devoir que j’aie de céder à votre autorité, je crois plus honorable, sur une question si importante, de me soumettre à la raison plutôt qu’à l’autorité. Si donc je ne vous parais pas être dans l’erreur, écrivez-le moi dans une lettre aussi brève que vous voudrez, mais écrivez-le (vous me fortifierez dans mon jugement) ; si je suis dans l’erreur, préparez-en une bien longue. Est-ce vous corrompre que de vous imposer, pour m’approuver, un simple billet, une longue missive, si vous êtes d’une opinion contraire ? Adieu.
XXI. – C. PLINE SALUE SON CHER PATERNUS.
L’achat d’esclaves.
J’ai autant de confiance dans la finesse de votre vue que dans celle de votre jugement. Ce n’est pas que vous ayez beaucoup de flair (je ne veux pas vous donner trop bonne opinion de vous), mais vous en avez autant que moi, et c’est déjà bien beau. Plaisanterie à part, je trouve assez bonne mine aux esclaves qui m’ont été achetés sur vos indications ; il s’agit maintenant qu’ils soient honnêtes ; sur ce point il vaut mieux, quand on les achète, s’en rapporter à ses oreilles qu’à ses yeux. Adieu.
XXII. – C. PLINE SALUE SON CHER CATILIUS SEVERUS.
Éloge de Titus Ariston.
Voilà longtemps que je suis retenu à Rome, et hélas ! dans la plus vive inquiétude. Je suis bouleversé par la longue et persistante maladie de Titus Ariston, pour lequel j’ai une admiration et une tendresse extraordinaires. Rien ne peut rivaliser avec sa sagesse, son intégrité, son savoir ; aussi n’est-ce pas un homme, mais les lettres mêmes et toutes les nobles connaissances que je crois exposées en un seul homme au péril suprême. Quelle science chez lui et du droit public et du droit privé ! Que de faits, que d’exemples, quelle connaissance de l’antiquité il possède ! Quoi que vous désiriez apprendre, il peut vous l’enseigner ; pour moi du moins, c’est le trésor où je trouve tout ce qui me manque. Quelle confiance inspirent ses paroles ! Quelle autorité ! Quelle lenteur circonspecte et digne dans sa conversation ! Ne sait-il pas tout sur-le-champ ? Et pourtant il doute presque toujours, il hésite, partagé entre les raisons opposées que son intelligence vive et profonde, remontant à l’origine et aux sources mêmes, reprend et examine et pèse longuement. Vous vanterai-je aussi la frugalité de sa table, la modestie de son genre de vie ? Je me plais à retrouver dans sa chambre à coucher et dans son lit même comme une image de la simplicité antique. Il les rehausse par une grandeur d’âme, qui n’accorde rien à l’ostentation, qui ne vise qu’à satisfaire sa conscience, et qui n’attend point la récompense d’une belle action de la voix populaire, mais de l’action elle-même. Bref il n’y a pas de comparaison possible entre ce sage et l’un quelconque de ces philosophes qui affichent dans leur extérieur leurs prétentions à la sagesse. Il ne court ni les gymnases ni les portiques {36} , il n’amuse ni l’oisiveté des autres ni la science par d’interminables controverses, mais le barreau, les affaires publiques l’occupent tout entier, tandis qu’il prodigue aux uns son assistance en justice, aux autres plus nombreux encore ses consultations. Et pourtant il ne le cède à aucun de ces prétendus sages pour l’honnêteté, le dévouement à ses amis, la justice, et même la force d’âme. Vous admireriez, si vous en étiez
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