Lettres - Tome I
l’interrompre d’ailleurs. On renvoya donc les preuves au troisième jour. C’est déjà quelque chose de beau et d’antique, de voir le sénat ne se séparer qu’à la nuit, s’assembler trois jours de suite, trois jours de suite siéger sans désemparer. Cornutus Tertullus, consul désigné, homme d’un rare mérite et d’une franchise incorruptible, opina le premier. Il fut d’avis de condamner Marius à verser au trésor public les sept cent mille sesterces, qu’il avait reçus, et à être banni de Rome et de l’Italie, Marcianus à être banni en outre de l’Afrique. Il conclut en disant que, Tacite et moi ayant soutenu avec conscience et courage l’accusation dont nous avions été chargés, le sénat déclarât que nous avions dignement rempli notre mission. Les consuls désignés et même tous les consulaires se rangèrent à cet avis, jusqu’au tour de Pompeius Collega. Celui-ci proposa de verser au trésor public les sept cent mille sesterces qu’avait touchés Marius, d’exiler Marcianus pour cinq ans, et pour Marius de ne rien ajouter à la condamnation en restitution prononcée déjà. Chaque opinion eut de nombreux partisans, la dernière en réunit peut-être même un plus grand nombre, comme plus indulgente ou moins rigoureuse. Car plusieurs de ceux qui semblaient avoir adopté le sentiment de Cornutus, suivaient maintenant Collega, qui avait opiné après eux. Toutefois lorsqu’on vint à compter les suffrages, les sénateurs placés près des sièges des consuls commencèrent à se ranger du côté de Cornutus. Alors ceux qui avaient autorisé à croire qu’ils étaient de l’avis de Collega repassèrent du côté opposé, laissant Collega presque seul. Plus tard il se plaignit amèrement de ceux qui l’avaient engagé dans ce parti, principalement de Regulus, qui avait trahi un avis dont il était l’auteur. En fait Regulus est un esprit si léger qu’il passe en un moment de l’extrême audace à l’extrême crainte.
Tel fut le dénouement de cette grande affaire. Il nous reste cependant encore un office à remplir qui n’est pas minime : c’est le cas d’Hostilius Firmus, lieutenant de Marius Priscus, qui, impliqué dans cette affaire, a subi de terribles assauts. Il était convaincu par les registres de Marcianus et par le discours qu’il prononça dans le sénat de Leptis d’avoir rendu à Priscus d’infâmes services et de lui avoir fait promettre cinquante mille deniers par Marcianus ; lui-même en outre aurait reçu dix mille sesterces, à titre de parfumeur, titre honteux, qui ne convient pas trop mal cependant à un homme toujours si soigneux de sa coiffure et de la douceur de sa peau. On a décidé sur l’avis de Cornutus, de renvoyer l’affaire à la prochaine séance du sénat ; car, soit hasard, soit conscience de sa culpabilité, Hostilius était absent alors.
Voilà les nouvelles de la ville ; à votre tour donnez-m’en de la campagne. Que deviennent vos arbres fruitiers, vos vignes, vos blés, vos brebis, si délicatement vêtues ? Bref, si vous ne m’envoyez pas une lettre d’égale longueur, n’en attendez jamais plus de moi que de très courtes. Adieu.
XII. – C. PLINE SALUE SON CHER ARRIANUS.
Suite de cette affaire.
Cet office, qui nous restait du procès de Marius Priscus, ainsi que je vous l’écrivais dernièrement, je ne sais si nous l’avons heureusement rempli, mais enfin nous avons si bien taillé et poli, qu’il est achevé. Firminus comparut devant le sénat et répondit à l’accusation, dont les motifs étaient déjà connus. Puis les avis se partagèrent entre les consuls désignés. Cornutus Tertullus opinait à le chasser du sénat, Acutius Nerva seulement à l’exclure du tirage au sort de la province. Cette opinion prévalut, comme la plus douce, quoiqu’elle soit en réalité plus sévère et plus dure. Qu’y a-t-il de plus déplorable que d’être privé et écarté des honneurs attachés à la fonction de sénateur, sans être dispensé des peines et des ennuis ? Qu’y a-t-il de plus affreux pour un homme frappé d’une telle ignominie que de ne pouvoir pas se cacher au fond d’une solitude, et d’être obligé de rester dans cette situation en vue qui le donne en spectacle à tous les regards ? Bien plus, que peut-on imaginer de plus bizarre dans un état et de plus indécent, que de voir siéger au sénat un homme que le sénat a flétri ? de le voir l’égal de ceux mêmes qui l’ont
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