Lettres - Tome II
m’essaye dans divers genres de travaux, n’ayant confiance en mes forces pour aucun. Ainsi quand vous lirez de moi ceci ou cela, vous serez indulgent pour chaque ouvrage en pensant qu’il n’est pas le seul. Est-il juste, puisque dans les autres arts la quantité est une excuse de la médiocrité, que les lettres subissent une loi plus dure, quand le succès y est plus difficile ? Mais qu’ai-je besoin de parler d’indulgence comme un ingrat ? Car si vous accueillez mes derniers ouvrages avec la même complaisance que les premiers, ce sont des éloges que j’ai à espérer plutôt que l’indulgence à implorer. Je me contenterais cependant de l’indulgence. Adieu.
XXX. – C. PLINE SALUE SON CHER GEMINUS.
La vraie libéralité.
Vous me faites l’éloge, souvent de vive voix, et maintenant dans votre lettre, de Nonius, votre ami, pour sa générosité envers certains ; j’y joins le mien, à condition qu’il ne la limite pas à ces seules personnes. Je veux en effet qu’un homme vraiment généreux donne à sa patrie, à ses parents, à ses alliés, à ses amis, et j’entends à ses amis pauvres, sans imiter ces gens qui font des largesses surtout à ceux qui peuvent le mieux les leur rendre. Ce sont, à mon goût, des personnes intéressées, qui veulent avec leurs présents couverts de glu et armés d’hameçons non pas dépenser leurs trésors, mais ratisser ceux d’autrui. Il y en a d’un talent analogue, qui donnent à l’un ce qu’ils enlèvent à l’autre et aspirent à se faire une réputation de libéralité à force de rapine. Le premier devoir est de se contenter de son bien ; le second, en prêtant appui et assistance à ceux que l’on sait les plus nécessiteux, de former comme un cercle fermé de bienfaisance. Si votre ami suit toutes ces règles, il mérite des éloges sans réserve ; s’il n’en suit qu’une, il en mérite moins, mais il en mérite encore, tant est rare un exemple, même imparfait, de générosité. Une telle passion des richesses a envahi les hommes, qu’ils en paraissent possédés, plutôt que possesseurs. Adieu.
XXXI. – C. PLINE SALUE SON CHER SARDUS.
Éloges et remercîments.
Depuis que je vous ai quitté, je n’ai pas moins été avec vous, que lorsque j’étais auprès de vous. J’ai lu votre livre, reprenant plusieurs fois certains passages, surtout ceux (car je ne veux point vous mentir) que vous avez écrits sur moi, et dans lesquels vous avez été d’une rare générosité. Quelle abondance ! Quelle variété ! Que de choses sur un même sujet qui évitent la répétition, sans tomber dans la contradiction. Oserais-je vous adresser à la fois des éloges et des remerciements ? Je ne puis m’acquitter dignement ni des uns ni des autres, et si je le pouvais, je craindrais qu’il n’y eût de la vanité à vous louer d’un ouvrage, dont je vous remercierais. J’ajouterai seulement que tout votre ouvrage m’a paru d’autant plus louable, qu’il m’était plus agréable, et d’autant plus agréable, qu’il était plus louable. Adieu.
XXXII. – C. PLINE SALUE SON CHER TITIANUS.
La vie oisive.
Que faites-vous ? Qu’allez-vous faire ? Moi, je mène la vie la plus délicieuse, c’est-à-dire la plus oisive. C’est pourquoi je ne voudrais pas écrire de longues lettres, mais je voudrais bien en lire ; l’un satisfait à mes goûts voluptueux, l’autre à mon oisiveté. Car rien n’est plus paresseux qu’un homme voluptueux, ni plus curieux qu’un homme oisif. Adieu.
XXXIII. – C. PLINE SALUE SON CHER CANINIUS.
L’enfant et le dauphin.
Je suis tombé sur une histoire vraie, bien qu’elle ait tout l’air d’une fable, et qui serait très digne de votre talent si fertile, si noble, si véritablement poétique ; j’y suis tombé, alors qu’à table chacun à l’envi contait son prodige. On reconnaît au garant une grande véracité ; mais un poète se préoccupe-t-il de véracité ? Cependant c’est un garant en qui vous auriez foi, même pour écrire l’histoire.
Il y a en Afrique la colonie d’Hippone toute voisine de la mer. Elle touche à une lagune navigable, d’où sort, comme un fleuve, un canal, qui, alternativement, selon que la marée descend ou monte, se déverse dans la mer, ou revient vers la lagune. Tous les âges sont attirés là par le plaisir de la pêche, du canotage, et même de la natation, surtout les enfants, qu’invitent les loisirs et le
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