Lettres - Tome II
SALUE SON CHER APPIUS.
Le coup de lime.
J’ai reçu le livre que vous m’avez envoyé et je vous en remercie. Mais je suis en ce moment fort occupé et je ne l’ai pas encore lu, malgré mon bien vif désir. Je dois ce respect aux lettres et à vos écrits, de regarder comme un sacrilège de ne pas y donner un esprit entièrement libre. J’approuve tout à fait votre application à retoucher vos ouvrages. Il faut cependant qu’elle ait des bornes, d’abord parce qu’un excès de soin gâte plutôt qu’il n’améliore, ensuite parce qu’il nous détourne de questions plus récentes, et ne nous permet ni d’achever les anciens ouvrages, ni d’en entreprendre de nouveaux. Adieu.
XXXVI. – C. PLINE SALUE SON CHER FUSCUS.
Vie de Pline en été dans sa villa de Toscane.
Vous me demandez comment je règle ma journée en été dans ma villa de Toscane. Je m’éveille quand il me plaît, ordinairement vers la première heure, souvent plus tôt, rarement plus tard. Mes fenêtres restent closes ; car, merveilleusement protégé par le silence et l’obscurité contre tout ce qui distrait, libre et laissé à moi-même, je soumets non pas mon esprit à mes yeux, mais mes yeux à mon esprit ; ils voient en effet les mêmes choses que lui, toutes les fois qu’ils n’ont pas autre chose à voir. Je travaille de tête, si j’ai quelque ouvrage en train, je travaille, soignant les mots aussi minutieusement que si j’écrivais et corrigeais ; je rédige tantôt moins, tantôt plus, selon que le texte est plus difficile ou plus facile à composer et à retenir. J’appelle mon secrétaire, et, faisant ouvrir mes fenêtres, je dicte ce que j’ai mis au point ; il s’en va, je le rappelle et puis le renvoie une seconde fois. Vers la quatrième ou cinquième heure (car mes moments ne sont pas rigoureusement mesurés et distribués), suivant que le temps le permet, je me rends sur la terrasse ou sous la galerie voûtée, je continue de composer et de dicter. Je monte en voiture. Là encore même travail que pendant la promenade ou dans mon lit ; mon attention se soutient, ranimée par le changement même. Je refais un petit somme, puis je me promène ; je lis ensuite un discours grec ou latin d’une voix claire et ferme, moins pour fortifier ma voix même que ma poitrine ; mais du même coup elle s’en trouve elle aussi affermie. Et puis nouvelle promenade, friction, exercices physiques, bain. Pendant le dîner, si je le prends avec ma femme ou avec quelques amis, on me fait une lecture ; après le repas, comédie ou musique, et puis promenade en compagnie de mes serviteurs, parmi lesquels il y en a de fort instruits. La soirée se prolonge ainsi dans des conversations variées, et les jours, même très longs, finissent vite.
Parfois cet emploi du temps subit quelques modifications : car si je me suis attardé au lit ou à la promenade, c’est seulement après mon petit somme que je monte, non pas en voiture, mais à cheval, pour mettre moins de temps, en allant plus vite. Des amis surviennent des villes voisines, s’adjugent une partie de ma journée et quelquefois apportent à ma fatigue le secours d’un dérangement fort opportun. Je chasse de temps en temps, mais jamais sans mes tablettes, afin que, même si je ne prends rien, je ne revienne pas sans rien. Je donne aussi à mes fermiers quelque temps, mais trop peu à leur gré ; leurs plaintes rustiques me font aimer davantage nos lettres et nos occupations de la ville. Adieu.
XXXVII. – C. PLINE SALUE SON CHER PAULINUS.
Exigence des fermiers de Pline.
Il n’est pas dans votre caractère d’exiger de vos amis intimes, contre leur intérêt, les devoirs traditionnels et pour ainsi dire officiels, et moi je vous aime trop fermement, pour craindre que vous ne preniez en mauvaise part, si, le jour même des calendes, je ne vais pas vous faire visite à l’occasion de votre consulat, surtout alors que je suis retenu par la nécessité de régler pour plusieurs années la location de mes domaines {88} , et de prendre, à cette occasion des dispositions nouvelles. Car, pendant le lustre écoulé, malgré de fortes remises, les reliquats de compte se sont accrus ; aussi la plupart des fermiers ont perdu tout souci de diminuer leurs dettes, désespérant de pouvoir s’acquitter entièrement ; ils pillent et engloutissent toutes les récoltes, poussés par l’idée que ce n’est pas pour eux qu’ils économiseraient. Il
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