Lettres
contient, avec leur propre fonction matérielle et organisée.
L’œuvre fabuleuse qu’il est en train de bâtir dans le village de San Pablo Tepetlapa et qu’il a nommée Anahuacallí (« la maison d’Anahuac »), destinée à conserver son inégalable collection de sculptures mexicaines anciennes, mêle les formes anciennes et nouvelles ; elle est une création magnifique qui fera perdurer et revivre l’incomparable architecture du Mexique. Elle grandit au milieu du paysage incroyablement beau du pedregal , telle une énorme cactacée en train de regarder l’Ajusco, sobre et élégante, forte et fine, ancienne et pérenne ; elle crie, d’une voix sortie des siècles et des jours, du fond de ses entrailles de pierre volcanique : Le Mexique est vivant ! Comme la Coatlicue, elle englobe la vie et la mort ; comme le terrain magnifique où elle est érigée, elle embrasse la terre aussi fermement qu’une plante vivante et permanente.
Comme il travaille tout le temps, Diego ne vit pas vraiment une vie normale. Son énergie vient à bout des montres et des calendriers. Matériellement, il manque de temps pour lutter, sans repos, en projetant et en réalisant constamment son œuvre. Il engendre et reçoit des ondes difficilement comparables à d’autres, et le résultat de son mécanisme récepteur et créateur, tellement vaste, tellement immense, ne le satisfait jamais. Les images et les idées s’écoulent dans son cerveau sur un rythme différent de celui du commun des mortels, voilà pourquoi sa persévérance sans bornes et son désir d’aller toujours plus loin sont irrépressibles. Ce mécanisme le rend indécis. Son indécision est superficielle car il finit par faire ce dont il a envie, avec une volonté certaine et programmée. Rien ne dépeint mieux cette modalité de son caractère que ce qu’un jour m’a raconté sa tante Cesarita, la sœur de sa mère. Elle se rappelait que, quand Diego était tout petit, il était entré dans un magasin – un de ces bazars pleins de magie et de surprises, dont nous gardons tous un tendre souvenir – et, debout face au comptoir, tenant quelques sous dans la main, il avait balayé du regard tout l’univers contenu dans ce magasin, en hurlant : « Qu’est-ce que je veux ! » Le magasin s’appelait L’Avenir, et cette indécision de Diego a duré toute sa vie. Mais bien qu’il ne se décide que très rarement à choisir, il porte en lui une ligne-vecteur pointée vers le centre de sa volonté et de son désir.
En tant qu’éternel curieux, il est aussi un éternel parleur. Il peut peindre des heures et des jours sans se reposer, en conversant tout en travaillant. Il parle et il discute de tout, absolument de tout, en savourant, comme Walt Whitman, chaque moment passé avec ceux qui veulent bien l’écouter. Sa conversation est toujours intéressante. Il a de ces phrases, étonnantes, parfois blessantes, ou bien émouvantes, mais jamais il ne laisse à celui qui l’écoute une sensation d’inutilité ou de vide. Ses mots inquiètent tant ils sont vifs et vrais. Ses idées sont si crues qu’elles énervent ou perturbent son auditoire, car elles défient les normes de conduite préétablies ; elles déchirent l’écorce pour que naissent de nouvelles pousses ; elles blessent pour laisser grandir des cellules neuves. Quelques-uns, les plus forts, trouvent que la conversation pleine de vérité de Diego est monstrueuse, cruelle, qu’elle tient du sadisme ; d’autres, les plus faibles, sont anéantis et leur défense consiste à le traiter de menteur et de fantaisiste. En fait, chacun tente de se défendre comme on se défend contre un vaccin, quand on se fait vacciner pour la première fois de sa vie. Ils invoquent l’espoir ou je ne sais quoi qui pourra les délivrer du danger de la vérité. Mais Diego est dépourvu de foi, d’espoir et de charité. Il est par nature extraordinairement intelligent et il n’admet pas les fantasmes. Il tient fermement à ses idées, jamais il ne cède, et il frustre tous ceux qui s’abritent derrière la croyance ou la fausse bonté. Alors on le dit amoral et – effectivement – il n’a rien à voir avec ceux qui respectent les lois ou les normes de la morale.
Au beau milieu de la tourmente que représentent pour lui la montre et le calendrier, il tente de faire et de laisser faire ce qu’il considère juste dans la vie : travailler et créer. Il affronte le reste, en
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