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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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doit avoir aujourd’hui trente-trois ans.
    Un bruit de ferraille nous fit sursauter : Claudia avait laissé tomber son gobelet. Elle bredouilla quelque chose d’indistinct.
    — Ma femme a eu peur, dis-je pour l’excuser. Elle a cru un instant que ce pouvait être moi.
    — Oh non, Pilate, j’ai pensé quelque chose de beaucoup plus terrible…
    Sans finir sa phrase, elle rappela les domestiques pour éponger le vin sur les tapis.
    Fabien se tourna vers tous les convives et scruta les visages.
    — Si cet homme a plus de trente ans, il a déjà dû commencer à réaliser son œuvre. Avez-vous entendu parler de quelqu’un ?
    Craterios répondit le premier.
    — Je connais un bon nombre d’abrutis qui rêvent de gouverner le monde, certains possèdent déjà une ville, une région, mais je n’imagine aucune de ces enflures capable d’aller jusqu’au bout de son rêve. Rêve que je trouve idiot, par ailleurs, cela va sans dire.
    Le poète chauve, le marchand crétois, le banquier maltais et l’armateur marseillais se montrèrent aussi dubitatifs. Ils avaient tous rencontré des individus valeureux, ambitieux, mais aucun qui eût la carrure de réaliser cette prophétie.
    — Et toi, Pilate ? me demanda Fabien. As-tu aperçu des héros susceptibles de conquérir le monde ?
    Claudia me fixa comme si je détenais la réponse. Je haussai les épaules.
    — La Judée n’est pas le bon endroit pour chercher un tel homme. Ici, les zélotes veulent se débarrasser de nous, certes, mais ils sont juifs, très juifs. Croyant appartenir à un peuple élu, ils se moquent de conquérir le monde, méprisent les autres et ils ne pensent qu’à eux. Les Juifs sont sans doute un des rares peuples sans visée impérialiste, un peuple étrange, fermé, suffisant. Tu trouveras des chefs régionaux, ici, mais pas d’empereur aux dimensions du monde. Et puis, j’ai bien peur de te décevoir, mais si se dressait devant moi un nouvel Alexandre, je n’aurais de cesse de le combattre et de le supprimer. Je défends Rome.
    — Rome ne sera pas éternelle.
    — Qu’est-ce que tu racontes, Fabien ? Tu te comportes vraiment comme un enfant gâté.
    — Je n’ai jamais fait dans mon existence que des choses vaines, séduire, baiser, dépenser et j’en retire une grande lassitude. J’ai l’impression que ma vie serait moins inutile si je rencontrais cet homme.
    Il se tourna vers sa cousine maintenant si pâle que le sang semblait s’être retiré de ses lèvres.
    — Il me semble que mon récit t’impressionne, Claudia.
    — Plus que tu ne le crois, Fabien. Plus que tu ne le crois.
    Le marchand crétois fit ricocher le débat sur le récent scandale de la pythie de Delphes, une jeune femme qui passait pour inspirée avant qu’on ne découvre qu’elle était surtout inspirée par le général Trimarchos qui lui soufflait des réponses pour mener à bien sa politique, et les discussions reprirent au galop. D’un œil, je surveillais Claudia, muette, songeuse, blanche comme une lune bleue, qui, pour la première fois, ne jouait plus son rôle de maîtresse de maison et laissait, indifférente, les vagues de la conversation mourir au pied de son lit.
    Lorsque tous les convives furent partis, je m’approchai d’elle, inquiet.
    — Que se passe-t-il, Claudia ? Tu ne te sens pas bien ?
    — As-tu entendu ce que disait Fabien ? Les oracles concordent. Ils parlent de quelqu’un que nous connaissons. J’ai été très surprise que tu ne le remarques pas.
    — De qui ?
    Pour la première fois, je sentis que j’agaçais Claudia. Elle se mordit les lèvres pour ne pas m’insulter et me toisa froidement.
    — Pilate, les oracles parlent de Yéchoua.
    — Yéchoua ? Le magicien ? Mais il est mort.
    — Il a l’âge annoncé par les oracles.
    — Il est mort !
    — Il entraîne tout le monde après lui. Sans armes, sans cantines, il a constitué une armée de fidèles.
    — Il est mort !
    — Il ne s’adresse pas qu’aux Juifs mais aux Samaritains, aux Égyptiens, aux Syriens, aux Assyriens, aux Grecs, aux Romains, à tout le monde.
    — Il est mort !
    — Lorsqu’il décrit son Royaume, il évoque un royaume universel où chacun est convié.
    — Il est mort, Claudia, tu m’entends : il est mort !
    J’avais hurlé.
    Ma voix résonna dans le palais qui absorbait progressivement de salle en salle, de colonne en colonne, ma colère.
    Claudia leva les yeux vers moi. Elle m’avait enfin entendu.

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