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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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Ses lèvres se mirent à trembler.
    — Nous l’avons tué, Pilate. Te rends-tu compte ? C’était peut-être lui et nous l’avons tué ?
    — Ce n’était pas lui puisque nous l’avons tué.
    Claudia réfléchissait. Les pensées étaient des flèches qui lui heurtaient le crâne. Elle s’effondra dans mes bras et sanglota longuement.
    Maintenant, elle repose à quelques coudées de moi pendant que je t’écris. Sa constitution lui permet de passer d’un extrême à l’autre : elle s’indigne profondément puis elle s’endort, tout aussi profondément. Ce flux et ce reflux me sont interdits, j’ai un tempérament plus lent, plus modéré, sans ballottement d’un contraire à l’autre. Si je m’indigne moins, je me repose moins. Le gouffre de la grande colère ou celui du sommeil réparateur me demeurant inaccessibles, je marche sur une planche étroite, moyennement confortable, entre les deux. Parfois, j’aimerais faire un faux pas…
    En attendant, je t’embrasse cordialement, mon cher frère. Je te redonnerai des nouvelles de Craterios qui compte séjourner à Jérusalem car, tant que je n’aurai pas résolu cette énigme du cadavre manquant, j’aurai d’autres occasions de le voir et de noter ses extravagances. En attendant, porte-toi bien.

De Pilate à son cher Titus
    J’aurais préféré ne pas vivre cette journée. Pour la première fois dans notre correspondance, je souhaiterais laisser une page blanche, tant j’aurai de la peine à revivre les événements en te les narrant. Cependant, je sens que si je néglige de te les rapporter, demain je ne t’écrirai plus, après-demain ma plume séchera, ma voix se tarira et tu perdras ton frère. Je me forcerai donc, quelque répugnance que j’en aie, à te raconter ce jour, à ne pas couper le fil de l’écriture, car ce fil tendu de Jérusalem à Rome est le fil de notre amitié.
    À l’aube, le centurion Burrus demanda une audience. J’espérais qu’il allait m’annoncer qu’il avait retrouvé le cadavre du magicien. J’avais en effet ordonné – te l’ai-je dit ? – que l’on fouillât systématiquement les maisons de Jérusalem pendant la nuit. Mes hommes ne devaient en aucun cas dire ce qu’ils cherchaient – car cela aurait amplifié la rumeur d’un mystère –, ils devaient ouvrir toute trappe, tout coffre, toute malle susceptible de dissimuler un corps.
    Sans avoir eu le temps de passer aux bains, Burrus se tenait raidement devant moi, le menton bleu, le cheveu poussiéreux et la paupière rougie.
    Il n’apportait pas le cadavre mais il tenait une piste. Par hasard, il avait retrouvé dans une taverne les gardes du tombeau en train de se cuiter consciencieusement, chacun ayant déposé une trentaine de deniers devant lui. C’était une grosse somme, plusieurs mois de salaire, et cela avait mis la puce à l’oreille de Burrus. On les avait payés. Pour faire quelque chose ? Ne pas le faire ? Dire quelque chose ? Se taire ? Il fallait les interroger.
    Je descendis avec Burrus dans le prétoire où l’on alluma des torches, car le jour pointait paresseusement, et l’on fit entrer les deux Juifs, ou plutôt on les traîna jusqu’à moi car ils étaient tellement soûls qu’ils n’avaient pas encore compris qu’ils se trouvaient chez le préfet.
    — D’où vous vient cet argent ?
    — Qui es-tu ?
    — Un ami.
    — T’as à boire ?
    — Qui vous a donné cet argent ?
    — …
    — Pour quoi faire ?
    — …
    — Vous allez me répondre, par Jupiter !
    — T’as vraiment rien à boire ?
    Pleins comme des amphores, on ne pouvait rien en tirer, sinon une sueur aux relents de vinaigre.
    Je leur tendis une carafe de vin, ils se jetèrent dessus plus avidement que des chameaux après quinze jours de désert.
    Je soupesais les bourses d’argent lorsque, soudain, une sorte de lumière se fit dans mon esprit. Trente deniers ! Cela me rappelait quelque chose… Oui ! C’était le tarif de toutes les trahisons, les délations, les dénonciations qui rythmaient la vie de Jérusalem. Quelques jours auparavant, mes hommes avaient retrouvé la même somme, intacte, sur un pendu qu’ils avaient décroché, Yehoûdâh, le trésorier de Yéchoua, qui pour ce montant avait vendu son maître à Caïphe.
    Je m’approchai des deux gardes ivres.
    — C’est bien Caïphe qui vous a payés ? Encore un peu à boire ? C’est Caïphe, n’est-ce pas ?
    Ils approuvèrent de la tête. Je pris alors les

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