L'Evangile selon Pilate
deux sacs.
— Tenez, Caïphe vous donne encore, à chacun, trente deniers de plus pour que vous me racontiez tout.
Les deux hommes chancelaient de joie sans se rendre compte que je leur tendais leur argent.
— Allons, dites-moi.
— Le problème, c’est qu’on sait rien.
— Vous vous moquez de moi ?
— Non, on n’a rien vu, patron. On dormait. Au matin, les femmes nous ont réveillés pour ouvrir le tombeau. Lorsqu’elles ont découvert qu’il était vide, elles ont crié, elles ont dit que c’était un miracle, que le Galiléen avait été emmené par l’ange Gabriel. Elles y croyaient dur comme fer. Ça fait un choc, au réveil. Alors nous, quand Caïphe est arrivé – bien avant les Romains, patron, bien avant – on a préféré causer comme elles, on a juré qu’on avait vu de nos yeux vu l’ange Gabriel avec le Galiléen. Ça faisait moins crétin que d’avouer qu’on n’avait rien capté du tout à cause qu’on pionçait au lieu de surveiller. Alors là, on a dû faire une erreur, parce que Caïphe il est entré dans une colère épouvantable qu’il a manqué s’en faire péter les veines du cou. Il a hurlé qu’on savait pas ce qu’on racontait, qu’on devait la fermer, et que si jamais on parlait devant qui que ce soit de l’ange Gabriel, il nous faisait lapider. Nous, on en claquait des genoux, parce qu’on sait que le grand prêtre, quand il vous annonce des catastrophes, il tient toujours ses promesses. Puis il s’est calmé, il nous a souri et il nous a même donné de l’argent en nous faisant bien répéter ce qu’on devait dire. Ou plutôt ce qu’on devait pas dire.
— Au fond, Caïphe vous a payé pour révéler la vérité.
— Voilà.
— Et la vérité, c’est que vous n’avez rien vu ?
— Rien de rien, patron.
Je leur rendis leurs bourses. Ces abrutis partirent en chantant et dansant, persuadés de posséder désormais soixante deniers chacun…
Je m’isolai ensuite dans la salle du conseil pour réfléchir.
Une absence m’intriguait depuis dimanche, celle de Caïphe. Pourquoi le grand prêtre n’était-il pas immédiatement venu me voir ? S’il recherchait lui aussi le cadavre, s’il avait encore plus intérêt que moi à ce qu’aucune fantasmagorie religieuse ne s’accroche à cette disparition, pourquoi ne me proposait-il pas de le chercher ensemble en joignant nos forces ? Caïphe ne m’avait pas habitué à autant de discrétion. Il me doit sa nomination à la tête du sanhédrin et me couvre de cadeaux pour garder ma faveur. Bien mieux que son beau-père, Annas, le précédent grand prêtre que nous avons dû déposer, il a l’intelligence de sa situation et collabore avec Rome. Dans l’affaire Yéchoua, en fin politicien, il craignait autant le magicien que ma réaction, redoutant que la popularité de Yéchoua ne m’inquiète et ne durcisse mon pouvoir. Lors du procès, il voulut garantir l’ordre public : « Mieux vaut qu’un seul homme meure pour tout un peuple et que la nation entière ne périsse pas. »
Pourquoi Caïphe se cloîtrait-il au Temple, sans solliciter mon aide ni me proposer la sienne depuis que la sépulture avait été violée ?
Il menait son enquête parallèle. Plus rapide, il me précédait partout au tombeau, chez Yoseph d’Arimathie… Pourquoi seul ? Caïphe, alors que l’heure était grave, ne rejoignait pas son seul et habituel allié objectif ! Qu’est-ce que cela cachait ?
Je m’approchai de la fenêtre et contemplai Jérusalem. Au loin les gradins blancs du théâtre me décochèrent au cœur une flèche de nostalgique. À regarder cet odéon désert, qui servait si peu, que les Juifs n’aimaient pas malgré les troupes et les pièces brillantes que j’avais fait venir ici, je songeai douloureusement à Rome et je regrettai d’être parti. En plissant les yeux, j’aperçus une toge blanche qui s’agitait sur la scène, et je reconnus Marcellus, notre convive de la veille, qui agitait les bras face aux bancs de pierre vides. Il devait déclamer un de ses poèmes, tester le poids des mots, la dynamique de sa phrase. Ou peut-être même s’essayait-il à l’écriture tragique ?
Et là, l’idée m’illumina : Caïphe faisait semblant ! Ses recherches n’étaient qu’une mise en scène ! Il savait parfaitement où gisait le cadavre puisque c’était lui qui avait pris la précaution de l’y mettre !
Comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ? Caïphe avait
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