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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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Craterios, qui fut notre précepteur à Rome, mon frère, lorsque nous avions dix ans.
    — Craterios ! Toi à Jérusalem !
    Nous nous sommes jetés l’un sur l’autre, ou plutôt l’un dans l’autre, tant les étreintes avec Craterios sont fortes. Mes serviteurs en demeuraient éberlués : leur préfet, toujours rasé, épilé, poncé, maniaque de l’hygiène et chasseur de poil incongru, leur glabre préfet s’accrochait aux bras d’un grand singe barbare dont le rire faisait trembler les colonnes.
    — Éduque ton personnel, Pilate. Apprends à ces larves qu’on reconnaît un homme au fait qu’il est un homme, non aux dettes qu’il a laissées chez son tailleur ! Allez, disparaissez, cloportes !
    Sans attendre ma confirmation, les serviteurs s’enfuirent.
    Heureux, je présentai Craterios à nos invités. Quand j’expliquai qu’il était un philosophe cynique, disciple de Diogène, les visages se détendirent. Je rappelai que notre père, surtout attiré par les tarifs médiocres – de quoi manger – de Craterios, lui avait confié notre éducation pendant quelques mois, avant naturellement de le chasser sous une avalanche d’insultes.
    Craterios grogna de plaisir à l’évocation de ce souvenir.
    — Ma grande fierté est d’avoir toujours été foutu à la porte par tous les parents qui m’employaient. Cela prouve que je réussissais : j’étais en train de rendre leurs enfants libres.
    — As-tu faim ?
    — Crois-tu que je serais venu sans cela ?
    Claudia s’amusait de l’aspect revêche de ce Socrate furieux : elle voyait la bonté sous les pointes.
    — Qu’on rapporte les plats, demanda-t-elle. Et rien de cuit, s’il vous plaît, légumes crus et viande crue.
    Philokairos, l’historien athénien qui, comme beaucoup de ses concitoyens, ne supportait pas cette déviance insolente du socratisme, arrêta d’un geste les serviteurs et tendit une coupelle de déchets à Craterios.
    — Puisque les cyniques prennent les chiens pour idéal, quelques os suffiront.
    Et, d’un geste insolent, il versa la coupelle à ses pieds.
    Craterios considéra l’historien de bas en haut.
    Je m’attendais à une repartie cinglante. Au lieu de cela, très calmement, Craterios s’approcha de l’historien et murmura :
    — Il a raison.
    Il s’accroupit, renifla les détritus, bougea le derrière en signe de contentement, puis se releva devant le Grec, fouilla ses guenilles entre ses jambes et en sortit son sexe.
    — Où avais-je la tête ?
    Et calmement, le plus calmement du monde, Craterios se mit à pisser sur l’historien.
    Le temps s’était arrêté.
    Chacun écoutait, médusé, le jet interminable souiller la tunique, le ventre, les jambes du convive stupéfait. Craterios urinait puissamment, sans s’interrompre, son visage se détendant à mesure qu’il soulageait sa vessie.
    Lorsqu’il eut terminé, il remua sa verge pour en chasser les dernières gouttes, la rangea, et tourna le dos à l’historien.
    — Tu me traites comme un chien : je me comporte comme un chien.
    S’allongeant sur le lit de table voisin, il prit à pleines mains la nourriture que lui proposaient en tremblant les domestiques.
    Claudia, au bord du fou rire, arriva néanmoins à se maîtriser. Elle me fit signe qu’elle emmenait Philokairos dans ses appartements. Celui-ci, livide, semblait avoir perdu l’usage de la parole.
    J’ai pensé à toi, mon cher frère, à nos propres étonnements devant les comportements de Craterios qui nous parurent excentriques avant que nous en saisissions la pédagogie violente.
    Craterios, tout en mangeant et rotant, expliquait son dernier voyage.
    — Cet imbécile de Sulpicius m’a chassé comme un malpropre d’Alexandrie. Déjà, notre première rencontre n’avait pas été un succès. Lorsque je l’avais vu passer dans la rue principale, plus fardé qu’une putain des remparts, couché dans une litière dorée que portaient huit esclaves, je m’étais exclamé : « Ce n’est pas la cage qui convient à cette bête ! » Il m’a fait convoquer à son palais. Je m’attendais à ce qu’il me fasse jeter dans une geôle mais, comme on lui avait entretemps parlé de moi, comme on l’avait nourri d’anecdotes sur mes insolences envers d’autres tyrans, voilà qu’il se montre aimable, se donne à lui-même la comédie du noble libéral qui comprend tout et pardonne tout. Il me traîne, la bouche en cœur – violette la bouche, je précise, il se

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