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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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n’était pas une femme, c’était l’esquisse d’une femme. Tout était petit chez elle, la taille, les hanches, les fesses, la poitrine, mais tout était rond, légèrement charnu, et l’on éprouvait devant elle la brûlure qu’on ressent aux premières heures du printemps… À la voir ainsi, innocente et suggestive, svelte et lourde dans ses voiles de gaze, on se prenait à penser que, même nue, elle n’aurait été qu’une promesse de nudité…
    Je ne saisissais pas le lien entre cette adolescente et sa réputation de femme fatale. Sans doute Salomé devait-elle correspondre aux goûts juifs plutôt qu’aux goûts romains.
    Je l’avais crue silencieuse mais je découvris qu’elle racontait quelque chose. Hommes et femmes devaient s’approcher d’elle, au plus près, sous l’estrade, pour entendre les paroles que ses lèvres, presque immobiles, laissaient à peine échapper, comme un souffle, en une mélodie chantonnée.
    Caïphe grommela que sa timidité n’était qu’une feinte. Une fois sous ses jambes et dans son parfum, les hommes se retrouvaient pris au filet.
    Effectivement, je me sentis soudain engourdi, entêté par une fragrance de musc, les yeux collés à ses chevilles déliées comme un poignet de harpiste, entourées de chaînes fines où tintaient des petits grelots… Je levai la tête pour boire à ses lèvres l’étrange récit qu’elle recommençait sans fin. Elle parlait d’elle en se nommant, comme si elle était devenue une spectatrice hallucinée de sa propre vie.
    — Salomé rentre au palais, le palais grand et sombre sous la lune. Salomé revient du cimetière où elle a pleuré la mort de Rabbi. Salomé est triste, et le soir est froid, et la terre est noire. Tout d’abord, Salomé ne voit pas l’homme sous le porche. Mais la voix l’arrête : « Pourquoi pleures-tu Salomé ? » L’homme est grand et mince, un capuchon d’ombre sur la tête. Salomé ne répond pas d’abord aux inconnus. Mais la voix ne laisse pas passer Salomé. « Tu pleures Yéchoua, je le sais, et tu as tort. » « De quoi te mêles-tu ? Je pleure qui je veux ! » L’homme s’approche et Salomé éprouve un grand trouble. « Tu ne dois plus pleurer Yéchoua. S’il était mort hier, aujourd’hui il est ressuscité. » L’homme se tient tout près, ses grandes mains pendantes. Sa voix rappelle quelque chose, ses yeux aussi. Mais la pénombre du palais haut et sombre a couvert les yeux de Salomé. « Qui es-tu ? » Alors il enlève sa capuche et Salomé le reconnaît. Elle tombe à genoux. « Salomé, relève-toi. C’est toi que j’ai choisie pour être la première. Tu as beaucoup péché, Salomé, mais je t’aime, et je t’ai pardonné. Va porter la bonne parole à tous les hommes. Va ! » Mais Salomé pleure trop pour bouger et lorsqu’elle essuie ses larmes, il n’est déjà plus là. Mais Salomé a reçu la bonne nouvelle : Yéchoua l’aime. Il est revenu. Il est ressuscité. Et Salomé dira et redira la bonne nouvelle à tous les hommes.
    Ce qui m’était apparu, de loin, comme un spectacle, m’était donné maintenant comme une confidence. Je croyais que Salomé n’avait parlé et bougé que pour moi. Ses yeux laissaient couler de longues larmes noires, ses bras nus s’ouvraient, ses jambes bougeaient, impudiques, sous ses voiles et sa voix me semblait une pêche goûteuse à mordre au plus fort de l’été.
    J’aurais bien supporté une deuxième, voire une troisième audition du récit, mais nous fumes déportés sur le côté, chassés par les nouveaux spectateurs.
    Revenus dans la rue, nous nous dégourdissions les membres par quelques pas, mais nos pensées restaient dans la cour, fixées sur Salomé.
    — C’est vrai que, finalement, elle n’est pas mal, dis-je pour rompre un silence embarrassé.
    Caïphe cracha à terre.
    — Pire que si elle était belle.
    Nous marchâmes encore sans plus échanger un mot. Le charme de Salomé, insinué en nous, nous avait fait oublier pourquoi nous étions allés l’entendre.
    Nous finîmes par nous arrêter près d’une fontaine. L’ombre du platane, le rire de l’eau nous apaisèrent et redonnèrent un peu de fraîcheur à nos idées.
    — Qu’est-ce qu’elle a raconté ? demandai-je.
    — Un gazouillis incohérent selon lequel elle aurait vu Yéchoua vivant. Au début, elle ne le reconnaît pas. Il a une bonne nouvelle pour elle : il l’aime.
    — Qui cela

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