L'Evangile selon Pilate
œuvre, il doit venir ici, à Jérusalem. Malheureusement, les prêtres du sanhédrin, et particulièrement Caïphe, ne le voient pas du même œil que toi. Ils s’opposent à Yéchoua. Tu sens le danger, tu viens à Jérusalem.
— J’y viens chaque année.
— Pas forcément pour la Pâque. Et pas quand tes affaires te demandent de rester en Galilée. Or, cette année, les incendies de Tibériade auraient dû t’immobiliser sur tes terres. Tu viens quand même. Tu veux prêter main-forte à Yéchoua. Aux portes de la ville, tu lui demandes de repartir en lui expliquant la conspiration du clergé contre lui. Obstiné, il refuse de t’obéir. Tu aperçois ses limites, tu comprends qu’il n’est pas ton allié objectif, mais tu ne renonces pas. Tu veux le sauver car tu veux te servir de lui. À cause de la trahison du trésorier, Yehoûdâh, les prêtres parviennent à arrêter Yéchoua et, dans la soirée, à instruire son procès. Cette nuit-là, tu t’agites, tu tentes d’intervenir. Tu leur fais comprendre que leur conseil n’a aucun droit exécutif, que même s’il le condamne à mort, ils n’ont pas le droit d’accomplir l’acte. Du coup, le sanhédrin me le confie. À ce moment-là, tu m’envoies Chouza, ton intendant, qui me rappelle que, certes, nous nous trouvons à Jérusalem, mais que Yéchoua étant natif de Galilée, selon le droit, on doit te le confier à toi, Hérode, tétrarque de Galilée. Trop content, je me débarrasse du prisonnier en te l’expédiant. Tu as récupéré Yéchoua, il est sauvé, tes plans pourront se réaliser. Tu fais semblant de l’interroger et tu me le renvoies en m’assurant qu’il est inoffensif. C’était, malheureusement, sans compter sur l’insistance de Caïphe qui, dès que Yéchoua m’est rendu, alors que je m’apprêtais à le libérer, fait de nouveau pression sur moi en exigeant que j’applique la sentence du sanhédrin. On connaît la suite. Yéchoua meurt sur la croix.
— Oui, Yéchoua meurt sur la croix. Ton histoire ingénieuse finit mal, mais elle est finie.
— Du tout. Tu ne t’avoues pas battu. Tu subtilises le cadavre pendant la nuit, tu le caches sans doute ici, au palais, le seul endroit de Jérusalem avec le Temple que mes hommes n’ont pas pu fouiller, puis tu décides de créer la légende de Yéchoua.
Hérode se redressa, soudain furieux. Toute morgue, toute ironie avaient disparu.
— Quoi ! Quelle légende ?
— Arrête de jouer l’innocent, Hérode, tu te fatigues, tu me fatigues. J’ai fait suffisamment de recoupements pour savoir que la rumeur part de toi.
— Quelle rumeur ?
— Celle que tu as glissée dans l’oreille de Salomé, de Myriam de Magdala et des deux pèlerins d’Emmaüs. Cela a dû te coûter beaucoup d’or.
— Quelle rumeur ?
— Que Yéchoua est ressuscité.
— On dit cela ? On dit cela ? Vraiment ?
Hérode devint pâle, c’est-à-dire un peu plus vert, roula des yeux exorbités, porta les mains à son cou comme s’il suffoquait. Ses lèvres tremblaient sous un souffle court.
— Yéchoua est ressuscité ?… J’ai tué Yohanân qui l’annonçait… Puis j’ai tué Yéchoua, le Fils de Dieu…
Il s’effondra sur son sofa et se mit à râler, l’écume à la bouche.
— Je souffrirai toute ma vie éternelle… je suis condamné…
Ses membres étaient agités de spasmes violents, comme ceux d’un chien qui rêve. J’avais honte de cette mascarade et j’y mis fin avec autorité.
— Hérode, cesse tes singeries. Je ne suis ni ton public ni un crétin. Je rentre au fort Antonia pour écrire mon rapport à Tibère. Et je t’attends demain pour que tu mettes fin à cette fable. Sinon, Tibère décidera lui-même du châtiment à donner à ta tentative de rébellion. Salut.
Hérode, comme s’il ne m’entendait pas, continuait à remuer convulsivement sur ses coussins. Si je l’avais d’abord admiré pour son astuce, je trouvais désormais mon adversaire pitoyable.
Je rentrai ici. Naturellement, je n’entame pas encore mon rapport à Tibère, persuadé que demain Hérode fera amende honorable, qu’il me livrera le cadavre et que la situation rentrera dans l’ordre. J’aurai accompli mon travail sans inquiéter l’empereur.
Toi seul sais vraiment sur quel volcan j’exerce ma préfecture. Toi seul soupçonnes la duplicité de mes interlocuteurs, les dédales de ruse qu’ils me forcent à emprunter. Rome, pour rester Rome, ne peut pas lutter
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