L'Evangile selon Pilate
avec les moyens de Rome. Nous avons l’intelligence claire et la main armée ; tout est force et rationalité. Ici, les âmes sont tortueuses et les armes des rumeurs ; tout est espoir et brouillard. Malgré ma satisfaction, cette nuit, d’avoir mené à bien ma tâche, je me sens comme souillé, oui souillé par les détours qu’il me faut emprunter pour arriver à mes fins. Je t’écrirai demain soir pour te confirmer la réaction d’Hérode et t’annoncer, enfin, je l’espère, mon retour à Césarée. En attendant, porte-toi bien.
De Pilate à son cher Titus
La journée que je vais te raconter m’a plusieurs fois contrarié, agacé, mais elle se finit comme je n’osais l’espérer. J’ai hâte de t’en livrer la conclusion bien que la conclusion elle-même ne vaille que par le raisonnement qui y conduit.
Tu sais quel était mon état hier soir. Je pensais avoir repéré les manigances d’Hérode dans ce filet plein de nœuds. Je l’avais menacé d’un rapport à Tibère et j’attendais donc, sachant l’homme plus rusé que courageux, son repentir aujourd’hui.
À l’aube, le centurion Burrus sollicita une audience. Le visage un peu congestionné, il me demanda d’une voix oppressée :
— Est-il vrai que le sauvage, là-bas, dans la cour, est ton hôte ?
De la fenêtre, il me désigna, au cœur de notre enceinte, une couche de fortune où était allongé Craterios, à moitié nu dans ses peaux de bêtes.
— Naturellement, Craterios fut mon maître avant que je ne porte la toge virile. C’est un philosophe cynique d’une grande puissance, sais-tu ?
Burrus devint encore plus rouge.
— Oh ça, pour la puissance, je n’en doute pas. Il suffit de se pencher pour voir.
— Que veux-tu dire ?
Je regardai plus attentivement en bas et je ne pus retenir un cri. Sans attendre nous avons dévalé les marches pour rejoindre Craterios.
— Salut Pilate, la journée s’annonce bien !
Craterios, d’ordinaire grognon, nous adressait un large sourire. Délesté de ses peaux, de sa besace, il se tenait allongé sous le soleil jaune paille du matin.
Je n’avais pas rêvé : Craterios, son énorme sexe turgescent à l’air, était en train de s’astiquer allègrement le membre au milieu de la cour. Et notre présence, nos visages ébahis ne changeaient rien au va-et-vient de la main.
— Je pense que je vais rester quelque temps à Jérusalem, continua avec naturel Craterios. J’ai parlé hier avec ton épouse, Claudia Procula – une femme qui vaut mieux que ses bijoux –, elle m’a expliqué cette religion juive et, ma foi, à ma grande surprise, je l’ai trouvée assez intéressante. Étonnante même. Sais-tu, de toutes les religions que je connais, c’est la seule qui se rapproche de la philosophie ! Comme chez nos maîtres grecs, on n’y parle que d’un Dieu, un seul Dieu, l’unique.
Craterios discutait, posé, sérieux, comme si sa main ne se fut pas occupée de son bas-ventre. Mais je n’arrivais pas à l’écouter, une telle indépendance entre la tête et les organes génitaux m’étant impossible.
Je tendis mon doigt vers le lieu d’agitation et demandai à Craterios :
— Dis-moi, Craterios, mènes-tu un exercice-philosophique ?
— Thérapeutique, dirons-nous plutôt. Thérapeutique et moral ! Thérapeutique car, lorsque le corps déborde de semence, ainsi que le conseillait Hippocrate, il faut prêter le poignet à la nature pour expulser les fluides. Moral car je tiens à ma liberté de penser et d’agir, et je ne veux pas devenir l’esclave de mes couilles. Si je ne prends pas la peine de les vider tous les matins, les fluides me montent à la tête, je deviens fou, je fais des bêtises.
— Je me demande bien ce que peut être une bêtise pour toi.
— Je deviens sentimental ! Je m’attache à la première fille qui passe avec la cuisse large et la hanche forte, je porte sa cruche d’eau, je raconte des fredaines, je complimente, je joue l’avantageux, je vais même jusqu’à faire des promesses… Par contre, rien de tout cela n’arrive si je me soulage au réveil. Je te conseille ma méthode, Pilate. Ne t’en avais-je pas parlé, à l’époque ?
Sans répondre, je regardai l’objet incriminé. Était-ce l’évocation de la servante ? Il me sembla que l’industrieuse main progressait dans ses œuvres et que le soulagement approchait.
— Les gens me traitent de libidineux cyrénaïque, dit-il en accélérant la
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