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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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arrêté au mont des Oliviers, son crâne suait du sang, un phénomène déjà notifié par Timocrate, un confrère grec, pour qui cette sudation exceptionnelle se révélerait le symptôme d’une grave maladie. Je conclus qu’avant même son procès, le Nazaréen n’était pas en bonne santé. Mais ce qu’on ne m’avait pas dit, non plus, l’autre jour, c’est que l’homme avait été torturé et flagellé avant d’être conduit au Golgotha.
    — On ne meurt pas du fouet ! protestai-je.
    — Si ! Cela s’est vu. Car le criminel y perd beaucoup de sang, les muscles sont lacérés. Tes centurions m’ont d’ailleurs confirmé qu’ils fouettaient traditionnellement les condamnés à la croix afin qu’ils trépassent plus vite.
    — Je n’ai pas fait battre Yéchoua pour qu’il périsse mais pour lui éviter la mort. Je pensais que cela suffirait à satisfaire le peuple.
    — Médicalement, le résultat est le même. Le Nazaréen s’est montré incapable de porter la poutre supérieure de la croix jusqu’au mont du Crâne, il fallut qu’un passant le fît à sa place. Tes légionnaires ont d’ailleurs accepté la proposition de ce Juif parce qu’ils avaient peur que le condamné n’arrivât pas vivant au lieu du supplice. Dans cet état, l’hémorragie des poignets et des pieds plus quelques heures d’asphyxie sur la croix ont pu suffire à l’achever.
    — Mais le sang ? Le sang qui jaillit lorsque le soldat a enfoncé sa lance ? Le sang, déjà épaissi, ne gicle pas d’un cadavre !
    — Justement, j’ai obtenu des précisions qui me font, là encore, diagnostiquer différemment. D’après Yohanân, le jeune disciple, et les soldats au pied de la croix, ce qui fusa hors du corps était un mélange de sang et d’eau. Ce qui nous indique que le coup de lance a atteint la plèvre, cette poche qui contient un liquide transparent. En éclatant, elle a forcément lâché un peu de sang qui a coloré la substance même si le corps était déjà mort. De plus, à supposer que l’homme ne fut alors qu’agonisant, fendre la plèvre l’aurait tué. En fait, aujourd’hui, au regard de tout cela, je me sens obligé de conclure qu’il y a quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent que le Nazaréen fut trépassé lorsqu’on le décloua.
    — Très bien, Sertorius. Alors comment expliques-tu qu’il vive, parle et marche aujourd’hui ? Par la résurrection ?
    — L’idée de résurrection n’appartient pas à mon arsenal médical.
    — Donc, si la résurrection n’est pas pensable pour toi comme pour moi, même s’il y avait quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent que Yéchoua fut mort sur la croix, il ne l’était pas puisqu’il vit toujours.
    Je quittai l’atelier sans un mot ni un regard pour le médecin. S’il s’était soulagé de ses scrupules, il ne m’avait pas ébranlé, il avait juste réussi à me mettre de mauvaise humeur.
    On vint alors me prévenir que Yoseph d’Arimathie, du fond de sa cellule, souhaitait me faire des aveux. J’en fus ragaillardi : enfin, nous allions mettre la main sur Yéchoua.
    Je trouvai un Yoseph étrangement calme. Il sourit même en me voyant. Il m’annonça qu’il voulait dévoiler toute la vérité, mais il y posait une condition : que nous nous rendions au cimetière.
    Je ne pouvais pas imaginer un piège, ni une ruse. Son regard était clair, le vieillard respirait paisiblement, comme un homme qui va se délivrer des secrets qui l’empoisonnent. Je lui passai son caprice.
    Suivis d’une garde restreinte, nous arrivâmes devant le tombeau de Yéchoua.
    — Eh bien, parle, Yoseph.
    — Rentrons dans la tombe. Là, je te montrerai les deux choses que j’ai à te révéler.
    D’un geste, j’ordonnai à mes hommes de rouler la pierre. Qu’avais-je à craindre ? Peut-être Yoseph voulait-il m’indiquer une trappe, un passage secret qui avait permis à Yéchoua de se cacher ou de s’enfuir ? J’étais déjà piqué par les pointes de la curiosité.
    La vieille main sèche de Yoseph me prit le bras et nous pénétrâmes dans le vestibule. Il avait plus peur que moi.
    Là, il demanda qu’on referme la meulière. Mes hommes hésitèrent. Je donnai l’ordre à mon tour. Les muscles se bandèrent de nouveau, nous entendîmes les souffles raccourcis par l’effort, quelques jurons, puis le jour disparut. Nous étions seuls dans le tombeau obstrué.
    Yoseph m’amena à tâtons au fond de la chambre mortuaire et me fit asseoir.

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