L'Evangile selon Pilate
dédises. Et tu vas me jurer aussi qu’il est ressuscité ?
— Non, ça je ne te le jurerai pas car moi, je ne l’ai pas revu.
Ses yeux, piqués de veines rouges, laissèrent couler sur les joues ravinées des larmes qui allèrent se perdre dans le moisi de la barbe.
— Il s’est montré à beaucoup de gens, sauf à moi. Je trouve cela injuste, j’ai tellement fait pour lui.
Cette fois, sans plus se retenir, il pleura à gros sanglots, les épaules secouées par l’émotion.
— J’ai pris soin de lui jusqu’au dernier moment et il préfère apparaître à des inconnus, voire à ceux qui l’ont trahi !
Il glissa sur le sol et s’allongea, les bras en croix, le visage à même la dalle glacée.
— Oh, mon Dieu, pardonne mes paroles. J’en ai honte ! Mais je ne peux pas m’empêcher d’être jaloux ! Oui ! Jaloux ! Je crève de jalousie ! Pardonne-moi.
Je me suis reculé avec horreur. J’aurais pu tuer Yoseph pour qu’il se taise, qu’il cesse de me prendre pour un crétin, qu’il avoue son complot manifeste. Les protestations d’innocence rendent chez les coupables un cri strident, inharmonieux, qui insulte l’intelligence des juges, qui perce les oreilles comme le hurlement inutile du cochon qu’on égorge.
Je fis ramasser le vieillard par mes hommes qui le jetèrent au cachot. En ce moment, rationnellement, méthodiquement, mes soldats recherchent Yéchoua. Sans la protection de Yoseph, son réseau, son pouvoir, ses serviteurs, nul doute que le Nazaréen ne pourra demeurer caché trop longtemps. Il nous faut encore un peu de patience, ce mot qui se prononce vite, cette vertu qui s’obtient difficilement.
J’hésite encore à écrire un rapport à Tibère. Dès le premier soupçon, j’aurais dû l’informer des risques de soulèvement que représentait l’affaire Yéchoua. Mais chaque jour, j’ai eu l’impression d’avancer dans mon élucidation, de maîtriser mieux la situation. Je n’enverrai les éléments à Rome que lorsque l’affaire sera close car je ne dois transmettre que les résultats de mon travail, non mes efforts, encore moins mes inquiétudes. De ces sentiments négatifs, tu es, mon cher frère, le seul confident. J’espère que, malgré ce poids que je t’envoie chaque jour, tu te porteras bien.
De Pilate à son cher Titus
C’est un blessé qui t’écrit.
Ne me demande pas où j’ai été frappé, mon frère ; ce n’est évidemment pas à la main droite qui trace les lettres ; ni à la main gauche qui tient le parchemin déroulé sur la table ; ni aux jambes qui me soutiennent puisque j’écris debout. Un coup sur la tête ? Au ventre ? J’aurais sans doute préféré cela, quelque chose qui saigne, qui cicatrise, qui se répare.
Le mieux est que je te raconte les faits.
L’aube annonçait une journée riante. Pour une fois, j’avais dormi un peu et le chant du coq pinça un Pilate reposé. Je regardai le ciel pur, le ciel blanc, le ciel qui ne s’use pas malgré tout ce qui s’y passe. Déjà, les palefreniers dans la cour donnaient à boire aux chevaux, les portes bâillaient, la vie rentrait au fort Antonia.
Un affranchi vint me prévenir que mon médecin souhaitait me voir. Je lui répondis que je le rejoindrais dans son atelier.
Là, alors que j’arrivais, rasé de frais, parfumé, m’attendait le premier coup du jour.
Sertorius était en train d’examiner les viscères d’une oie.
— Fais-tu des prédictions à partir des entrailles ? demandai-je gaiement.
— Non, j’essaie de comprendre la digestion.
Sertorius s’essuya les mains mais continua à se les frotter de manière embarrassée même après que celles-ci furent propres. Je m’assis sur un tabouret et l’engageai à parler.
— Sachant que tu étais intéressé, Pilate, par la crucifixion du Nazaréen, j’ai continué à faire la lumière sur son cas et repris un à un les éléments en consultant tous les témoins. Malheureusement, cela m’oblige à revenir sur mon précédent diagnostic.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Qu’il est fort possible, voire probable, très probable que le Nazaréen soit mort sur la croix.
Il se grattait la tête, comme si ses scrupules le démangeaient.
— L’autre jour, je n’avais pas toutes les données en main, ce qui m’a conduit à surestimer la santé du Nazaréen. Tout d’abord, il se trouvait à jeun depuis quarante-huit heures, ce qui l’affaiblissait. Ensuite, la nuit où il fut
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