L'Evangile selon Pilate
Une odeur fraîche et entêtante avait gagné l’obscurité.
Je m’appuyai contre le roc glacé pour attendre les révélations de Yoseph.
— Je n’imaginais pas qu’une tombe sente aussi bon.
— N’est-ce pas ? Il y a ici cent livres de myrrhe et d’aloès, le cadeau de Nicodème, que tu connais sans doute, le docteur de la Loi. Il l’avait fait déposer l’après-midi de la crucifixion.
— Eh bien parle, Yoseph, je t’écoute.
Yoseph ne répondit pas.
— Que veux-tu me montrer ?
Yoseph ne répondit pas davantage.
Etait-ce le froid ? L’humidité ? L’enfermement ? Je commençais à me sentir légèrement nauséeux.
— Yoseph, dis-moi pourquoi tu nous as fait venir ici ?
— Je veux te convaincre que Yéchoua était mort.
Yoseph avait parlé d’une voix blanche, tant il avait de la difficulté à respirer. Moi-même, j’avais le cœur qui s’accélérait et je cherchais mon air.
— Allons, parle vite ! Cette odeur est insupportable ! Je ne tiendrai pas longtemps…
Je passai ma main sur mon front et je découvris qu’il était couvert de sueur alors que je grelottais. Que se passait-il ?
— Yoseph, ça suffit ! Que faisons-nous là ?
— Tu n’as qu’à deviner toi-même…
Sa voix devenait à peine audible, un souffle rauque au bord de l’exténuation.
Puis il y eut un bruit sourd, celui d’une chute.
Je me dressai. Je sentis une chose chaude et molle, sous mes pieds. Je l’enjambai et hurlai à mes hommes, à travers la paroi, d’ouvrir.
Sans entendre de réponse, je m’approchai de l’unique rai de lumière pour respirer un air plus pur, puis, au bord de la défaillance, j’appelai de nouveau. J’étais devenu sourd et je découvrais le monde tout aussi sourd à mes appels. Je venais de sombrer dans une machination. J’ai crié, crié, crié…
Enfin le rai de lumière s’arrondit, la pierre commença à rouler, me parvinrent les chants des oiseaux, les jurons de mes hommes et je vis le soleil vert et blanc du verger fleuri. Je bondis hors de la tombe et m’écroulai dans l’herbe.
Mes hommes allèrent chercher Yoseph, la chose évanouie qui était tombée à mes pieds, et ils l’allongèrent près de moi. Ils nous aspergèrent avec l’eau de leur gourde.
En revenant à la vie, à moi-même, je me dis que j’aimais l’affairement de mes soldats, ces grosses faces plébéiennes où le sourire effaçait l’inquiétude.
Yoseph mit plus de temps à reprendre des couleurs. Je vis enfin son œil bleu, blanchi par les couches de l’âge, se rouvrir au ciel. Il se tourna vers moi.
— Alors, as-tu compris ?
J’avais compris. Les épices et aromates entreposés dans le caveau pour l’aseptiser et accompagner le défunt, cette myrrhe et cet aloès, créaient une atmosphère suffocante, irrespirable, mortifère. Yéchoua, moribond ou en bonne santé, n’aurait jamais pu survivre dans cette chambre empoisonnée.
Mes hommes nous remirent debout et nous déposèrent près de la fontaine, à l’ombre du figuier.
Je niais encore la démonstration de Yoseph. Qu’est-ce qui me prouvait que l’on n’avait pas déposé ces offrandes dans la tombe de Yéchoua après qu’il en fut parti ? Au moment où on l’avait retiré ?
Yoseph lisait mes doutes sur mon front.
— Je t’assure que Nicodème avait placé son présent avant qu’on y dépose le cadavre.
Je n’étais pas convaincu. Il ne s’agissait encore que d’un témoignage. Dans cette affaire Yéchoua, on rebondissait de témoignage en témoignage. Quoi de plus fragile qu’un témoignage ? Comment accorder du crédit à des Juifs qui, de toute façon, dès le départ voulaient voir en Yéchoua leur Messie ?
Yoseph me sourit et fouilla dans les plis de son manteau. Il en sortit un parchemin, noué par un ruban que je connaissais bien, où était glissée une branche de mimosa. Je frémis.
Claudia Procula lui avait confié ce message pour moi.
— Qui croire ? Qui ne pas croire ? Mon bon Pilate, je sais que tu n’écouteras qu’une seule personne. Lis donc. Je déroulai la missive.
« Pilate,
« Il y avait quatre femmes voilées au pied de la croix. Myriam de Nazareth, sa mère. Myriam de Magdala, l’ancienne courtisane que Yéchoua aimait tendrement pour sa bonté et son intelligence, Salomé, la mère de Yohanân et de Jacob, les disciples. Enfin, la quatrième était ton épouse, Pilate. Je n’ai pas osé l’avouer, ni à toi ni aux autres : j’étais
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