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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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la mamelle. Le jour pâlissait. La voix du grand jovial sonna haut dans l’air calme.
    — Nos gens sont plus contents que s’ils allaient courir les bordels de Toulouse, dit-il. Pourquoi donc restes-tu à l’écart, mon tout beau ?
    Près de lui il fit halte, risqua un regard bref, vit son compagnon d’armes d’humeur si taciturne qu’il s’inquiéta. Il dit encore, malaisément joyeux :
    — Tu conduiras la troupe. Ainsi j’aurai l’esprit tranquille, tu ne te perds jamais dans le noir compliqué. Je te suivrai jusqu’au rempart. Je garderai la porte du village avec Berriac et Taillefer. Pour l’instant il nous faut attendre. Quelqu’un d’Avignonet viendra nous prévenir quand nos diables seront en chemise de nuit.
    — Qui sera dans la chambre ?
    — Ceux-là qui t’ont ruiné, Jourdain, tu le sais bien : Saint-Thibéry, Arnaud, répondit le compère, fronçant le nez, fuyant de l’œil.
    — Qui d’autre ?
    — Des gens sans importance : quelques moines, un diacre et son servant, des greffiers, un notaire. Hé, qu’as-tu donc à me tarabuster ?
    — Notre Marti sait-il ce que nous allons faire ?
    Pierre s’illumina. Il répondit, sûr d’estoquer d’un coup les ombres malfaisantes qui leur tournaient autour :
    — Ne t’inquiète de rien. Il sait que nous marchons pour le bien du pays. Il nous a tous bénis.
    Il rit et déchanta, et se tint à l’affût, voyant Jourdain remuer de droite et de gauche la tête et regarder au loin comme si lui venait une épreuve inacceptable. Pierre de Mirepoix sut alors que le mal était profond dans le cœur de son frère. Aussitôt l’envahit une bouffée de peine et de colère sourde. Jourdain, d’un souffle, murmura :
    — Il ne peut avoir fait une chose pareille.
    — Pourquoi donc ?
    — C’est un pur.
    Il dit cela dans un élan d’évidence douloureuse, voulut parler encore, se tourna vers son compagnon. Il parut un instant en espérer secours, puis revint à sa rumination, l’œil sombre et le front bas, triste comme devant un ami trépassé.
    — C’est un assassinat que nous allons commettre.
    Pierre, comme il faisait toujours au bord d’une bataille de mots, s’éloigna de trois pas, les mains tout agitées, et s’en revint bientôt débordant de paroles.
    — Dans quelle guerre te crois-tu, mon joli ? rugit-il. Vingt morts à Pennautier, gens de bien, tous paisibles, trente à Saint-Paul-en-Croix, dix-huit l’autre semaine à Limoux, dont sept femmes et une fille de douze ans. Voilà pour ce mois-ci. Et je ne compte pas les bûchers de rencontre, les défunts déterrés jetés au feu public, et les emprisonnés, et les maisons défaites. Ici, dans ce hameau, tous ont péri, sauf la vieille et sa chèvre. Sais-tu combien de gens ils sont venus juger à Avignonet ? Trente-huit. Le temps des beaux combats armure contre armure est fini, mon Jourdain. Les règles sont changées. Nous avons à trancher des langues venimeuses, à faire rendre gorge à des bandits aussi puants que pestes, et s’il faut pour cela nous rabaisser à de sales ouvrages, eh bien troussons nos manches et remuons l’ordure jusqu’à racler le fond, foutredieu, sans vaines simagrées !
    — Pierre, voilà que tu parles comme eux. Mener à bien le ménage du monde, arracher les mauvaises vies, ruser parce qu’il faut et torturer les corps par nécessité froide, ils ne disent rien d’autre. Ils t’ont déjà vaincu si tu fais comme ils font.
    Pierre ricana sec.
    — Contre qui joue sournois il faut jouer sournois, dit-il. Sinon nous serons bientôt plus sûrement perdus que par tes prétendues contagions de paroles.
    — Sais-tu en vérité, lui demanda Jourdain, ce que nous ferons, tout à l’heure, dans la chambre où dorment ces gens ?
    — De la pâtée de clercs.
    — Des martyrs.
    — Tu plaisantes, mon grand, les martyrs sont chez nous. Demain, dans les villages, quand arrivera la nouvelle, ce n’est pas le tocsin que sonneront les cloches, mais la fête des fous, la belle délivrance. Tu n’imagines pas les joies qui viennent. Comment le pourrais-tu ? Le bonheur te fait peur.
    Jourdain se détourna, un instant démuni. Il pensa qu’il aimerait plus que tout au monde ce mot jeté à sa figure s’il lui venait un jour comme une averse bienfaisante sur cette sorte de cuirasse de terre sèche dont il se sentait malaisément vêtu, chaque fois que l’on s’aventurait aux abords de son cœur. Il dit, amer et

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