L'expédition
Pierre, les doigts agiles au-dessus de sa tête, content et délivré.
Riant à petites cascades il regarda son compagnon. L’autre, le voyant ainsi faire le pitre, bredouilla des jurons découragés mais ne put empêcher un sourire de poindre. Pierre grimaça de plus belle. Alors, tout à coup débondé, Jourdain se mit à singer son compère, puis le prit au collet et le poussa au large en l’accablant d’insultes démesurées. Tous deux bientôt en vinrent à se défier énormément, pareils a des enfants jouant à la bataille, jusqu’à ce que Pierre submergé de bourrades se prenne un éperon dans de grosses racines. Il battit l’air, les yeux tout ronds, poussa un « ho » de fin de vie et tomba cul par-dessus tête dans un buisson piquant. Comme il tendait les mains en hurlant comiquement à l’abandon, il vit trotter vers eux à travers la cour le messager de Jacques d’Alfaro. C’était un homme sec et petit, au teint bistre. Jourdain, débordant de politesses excessives, le présenta au seigneur de Mirepoix. Pierre, assis dans son roncier, lui ouvrit grands les bras et lui dit rudement qu’il arrivait à la bonne heure.
Le bonhomme effaré se courba pour l’aider à se défaire des mille branches épineuses qui de partout s’agrippaient. Il n’osa que quelques demi-gestes, appela d’un coup d’œil Jourdain à son secours, mais le voyant amusé, nonchalamment appuyé contre un arbre, il se redressa, tout à coup circonspect, et se résolut enfin à parler avec un empressement si volubile qu’il en perdit ses mots au bout du premier souffle. Pierre, remis sur pied, le prit aimablement par l’épaule et lui demanda son nom. Il répondit qu’il s’appelait Golairan. Il ajouta aussitôt dans un grand élan de fierté naïve et trébuchante qu’il était le fils de Na Bernarda, dont monseigneur d’Alfaro avait tété comme lui-même le sein dans son enfance. Après quoi, assez échauffé pour exposer sans fautes ce que son maître désirait faire savoir à ses compagnons de complot, comme un âne qui trotte il s’engagea sur son chemin de paroles.
Pierre et Jourdain apprirent ainsi que Jacques d’Alfaro avait ordonné à son humble frère de lait de recruter une dizaine de villageois et de les poster dès la nuit tombée aux abords du château, afin que nul n’en approche sauf ceux qui devaient y venir. Golairan s’était acquitté de cet ouvrage avec une irréprochable minutie. Par malice finaude il avait un soir rassemblé ses compagnons sur le perron même de l’église, dans la fraîcheur et l’odeur d’encens qui venaient au-dehors par le portail ouvert. À la vue des passants et des petits groupes parmi la place, il leur avait parlé sans passion apparente, l’air matois, comme s’il devisait des pluies et des soleils. Dès qu’ils avaient su ce que l’on attendait d’eux, les conjurés s’étaient convaincus de la fin prochaine de leurs misères et de leurs terreurs, car tous avaient grandement à craindre de ces impitoyables inspecteurs d’âmes pour qui l’on dressait déjà estrades et tentures dans la cour du château. De si violents espoirs les avaient alors envahis que le petit homme, pour tempérer l’exaltation de leur dévouement, les avait entraînés dans le pré carré du cimetière où n’était personne à cette heure crépusculaire. Il les avait là sermonnés à voix basse. Point assez. Car depuis ce jour et jusqu’à l’instant de rejoindre monseigneur de Mirepoix dans ce hameau il avait dû courir des uns aux autres, sans cesse inquiet de brider les fanfarons et de menacer de mort les possibles bavards. Aucun, grâce à Dieu, n’avait failli. Tous étaient maintenait à leur poste dans la ruelle qui grimpait du rempart du village au portail du donjon.
Pierre, brusquement impatient, écarta Golairan et décida qu’il était temps de se mettre en chemin. L’autre hocha la tête à petits coups d’oiseau, mais dans le même temps, soucieux de ne rien omettre, il redressa sa taille brève, haussa d’un ton sa voix nasillarde et redoubla de paroles et de trébuchements. Comme le grand diable hésitait à s’éloigner, il dit que les juges inquisiteurs conviés à dîner par monseigneur Jacques en étaient sans doute, après ce repas dont il avait pu, tout à l’heure, flairer les parfums de bonnes viandes, à leurs dernières dévotions avant le repos de la nuit. Peut-être même, à l’instant où il parlait, étaient-ils déjà en
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