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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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et qu’il y avait partout de la joie neuve à vivre, et de l’amour offert même aux meurtriers d’hier, pour peu qu’ils se désarment.
     
    D’un long moment de chevauchée dans le jour neuf il se laissa aller à savourer ce don que Jeanne, à son insu, lui avait fait. Il lui vint à l’esprit qu’en vérité il ne savait rien de cette jeune femme aux bontés irréfléchies, sauf qu’elle lui avait paru déconcertante chaque fois qu’il l’avait rencontrée au hasard des sentiers ou de l’ombre des murs. Lui revinrent ses airs de fausse insouciance, ses paroles légères où se devinait le souci de l’âme, ses élans gais, ses retenues soudaines, son regard magnifiquement avide, un soir, sous la lampe d’un auvent où Bernard Marti avait prêché. « Mélancolique et pourtant rieuse, se dit-il. Elle est ainsi. » Cela lui plut. Il la revit offerte impudemment à lui devant le premier feu de sa maison aux poutres neuves. Il en eut un moment l’esprit tout trébuchant. Après qu’il eut joui d’elle, il avait craint qu’elle ne le poursuive. Elle ne l’avait pas fait. Il lui en avait su gré.
    Il se réjouit d’avoir à veiller sur sa vie. Il espéra l’aider, lui rendre un peu du bien qu’il avait reçu d’elle. « Jeanne a tout du printemps, pensa-t-il, la beauté de fruit neuf, la candeur passionnée, le savoir ingénu et le sentiment vif que rien ne peut durer. » Il sourit en lui-même. Il lui demanda si elle désirait retourner à Vendines. Elle se prit à rire et lui répondit étourdiment :
    — Oh non ! Dieu garde ! je vais où vous allez !
    Elle rougit aussitôt, s’effraya de son audace inconséquente, pensa qu’il lui fallait expressément brider la jubilation qu’elle éprouvait à voyager seule avec cet homme aimé, sur une route qu’elle s’ingéniait par mille ruses de cœur à imaginer infinie. Elle s’empressa d’ajouter :
    — Toulouse est une bonne ville, les ateliers n’y manquent pas. J’y trouverai sans peine à occuper mes doigts.
    Ces paroles furent aux oreilles de Jourdain comme un babil passager parmi les chants d’oiseaux, les bruissements de la brise et les battements sourds du pas de leur cheval sur l’herbe du chemin. Il les entendit à peine. Tandis qu’elle se tenait craintivement muette il se plut encore, dans les mille lumières et parfums de la matinée, à s’émouvoir des souvenirs qu’il avait d’elle. Ils cheminèrent en silence rêveur jusqu’au faubourg de Lavelanet, où ils arrivèrent vers l’heure de midi.
    Ils firent halte à la lisière de la ville dans une cour d’auberge encombrée de chariots et de bottes de paille où les assaillirent, dès la barrière franchie, les hauts cris d’un rougeaud à la canne levée sur l’échine d’un fuyard d’âge tendre. Comme ils mettaient pied à terre près du seuil d’où sortait une âcre puanteur de four froid, l’homme à coups de savate et de bâton ferré bouscula le garçon au-devant des deux voyageurs et lui ordonna de s’occuper de leur monture. Après quoi, tant geignard que rogneux, essuyant son front moite et désignant la route où ne passait personne :
    — Ils sont devenus fous, même les femmes d’âge, leur dit-il. Imaginez, messire. Ils se sont mis en tête d’assiéger le logis de l’inquisition. Je n’ai qu’un fils, moi, et croyez-m’en, je le clouerai tout nu, pieds et poings, contre cette porte plutôt que de le laisser courir à pareille émeute.
    À nouveau s’échauffant il se reprit à maudire l’enfant affalé devant lui contre un tonneau ruiné, brandit encore son arme rustique sur ses épaules, terrible et boursouflé comme un bourreau bouffon hésitant au carnage. L’autre esquiva la menace, saisit la bride du cheval et s’en alla trottant vers l’écurie. Jeanne et Jourdain franchirent l’entrée de la maison où n’était qu’un colporteur attablé sous la lucarne, indifférent à tout sauf au croûton de pain qu’il tranchait dans son écuelle fumante avec la lente précision d’un solitaire inébranlable.
    — À aiguillonner l’ours, craignons ses coups de griffes, dit l’aubergiste, pénétrant derrière eux dans la salle embrumée par la fumée de mauvais feu qui débordait de l’âtre. Savez-vous la nouvelle ? Étienne de Saint-Thibéry et Guillaume Arnaud, avec leurs moines, leurs greffiers, leurs valets et leur troupe, ont été massacrés l’autre nuit dans leur lit par des gens de Toulouse, à ce que

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